Je m'autorise à "disserter" ou "discourir" sur la violence en Corse, diront certains, alors que du fait de mon patronyme, mon degré de "corsitude" est discutable ou questionnable.
Étant né à Ajaccio voici presque neuf décennies d'une mère authentiquement corse mais d'un père ukrainien devenu migrant lors de la révolution bolchevique de 1917, cela a fait de moi un Corse "contestable" au regard de certains nationalistes locaux, mais un Français également contestable au regard de certains identitaires nationaux, car je ne puis me prévaloir que d'un "jus solis" désormais remis en cause par les purs "souchiens".
J.M
Le thème de la violence est récurrent lorsqu'il s'git de caractériser notre île dans le discours commun et dans le commentaire médiatique.
Nul n'ignore en effet que la Corse a connu depuis cinq décennies une violence politique dont la justification idéologique reposait sur une revendication nationaliste opposant la notion de "peuple corse" à celle de peuple français.
Mais si la violence politique exprimée par la "lutte armée" semble avoir été abandonnée, une violence dite "mafieuse" s'est développée au point de prendre désormais des proportions qui amènent à parler de "sicilianisation" de la Corse, et de "syndrome palermitain" ou calabrais.
Il convient de dissocier les deux violences, même si la géographie, l'histoire et quelques invariants socio-culturels peuvent inciter le profane à les confondre ou les associer.
Pour ma part, je ne partage pas l'idée selon laquelle la violence peut ou doit servir de support aux revendications identitaires. Mais lorsqu'une revendication s'exprime, quel que soit le support qu'elle se donne, elle a toujours un fondement ou une justification. Même si on ne la soutient pas, il convient d'en examiner les causes en faisant un effort de tolérance et d'objectivité.
Toute réflexion sur la violence locale suppose une double approche:
- une approche d'ordre général, pourrait-on dire, réalisée en termes d'universalité, car l'homme est toujours égal à lui-même sous toutes les latitudes. Cette approche s'efforcerait de retrouver ici les instincts multiséculaires, voire multimillénaires, qui caractérisent l'espèce humaine. Elle ferait obligatoirement référence à la violence qui a toujours ponctué l'histoire des civilisations, depuis les plus archaïques jusqu'à celles de notre époque.
Les horreurs nazies ne sont pas loin de nous, non plus que celles du goulag stalinien, non plus que celles des luttes qui ont marqué certaines décolonisations, ces dernières étant, soit dit en passant, équitablement partagées entre les colonisateurs et les colonisés.
- Mais il ne s'agit pas, ici et maintenant, d'épiloguer sur ces données. Mon approche est circonscrite au contexte local, approche que je tenterai d'effectuer en faisant apparaître les éléments principaux de sa "spécificité".
LA GENÈSE HISTORIQUE DE LA VIOLENCE EN CORSE.
Historiquement parlant, la Corse a toujours subi des invasions et des dominations. Chacune des invasions a laissé, plus ou moins profondément, des traces qui constituent le substrat de ce que l'on pourrait appeler la "culture traditionnelle corse".
Placés dans une telle perspective, les problèmes de la violence prennent une dimension originale, dans la mesure où ils s'inscrivent comme des rejets ou des refus, ou comme un combat entre un droit coutumier séculaire et le droit coutumier ou écrit des conquérants.
La violence trouve sans doute de nombreuses racines dans l'histoire tragique de la Corse. Agresseurs, envahisseurs, colonisateurs successifs, ont apporté avec eux leur cortège de massacres, de viols, de pillages, de rapines et de féroces répressions…. en même temps que leurs mœurs, leurs caractéristiques "civilisationnelles" …. et leurs lois
Face aux lois de l'occupant, face à ses juridictions, face à la force des armes, la Corse a sans cesse opposé sa propre légalité ou sa propre légitimité.
Mais, territoire géographiquement divisé par le relief (cismonte, pumonte), et petite île dont la population s'est longtemps fragmentée, s'enfermant dans des affinités claniques ou dans des particularismes territoriaux tout en cultivant spécificités et antagonismes, la Corse s'est également souvent divisée en factions rivales, les unes pactisant avec les dominateurs du moment, les autres adoptant un comportement de résistance.
Cela s'est traduit par une suite séculaire de turbulences, de luttes intestines, d'exactions, de règlements de compte, de trahisons et d'assassinats. De la lance au poignard, en passant par l'escopette, le pistolet ou le fusil, la panoplie des armes de la violence nous conduit tout droit au bâtonnet de plastic contemporain.
Terre plus ou moins jugulée par les envahisseurs, terre de violence, terre où la ruse et la fausse soumission (apanage des peuples dominés ou colonisés) ont longtemps primé, terre où le port d'armes est considéré comme un honneur ou une banalité, la Corse d'aujourd'hui retrouve parfois ses démons endémiques.
Le jugement porté sur elle par ses occupants successifs n'a jamais été bien tendre. A tout le moins, la Corse a toujours suscité un sentiment d'incompréhension.
- Sénèque disait des Corses : " ... Leur première loi est la vengeance, la seconde la rapine, la troisième le mensonge, la quatrième la négation des dieux..."
- Tite Live n'était guère plus indulgent : "...Les habitants sont grossiers, sauvages, et à peine plus intraitables que les bêtes qui les nourrissent. Réduits en esclavage, on a grand peine à les apprivoiser, car ils renoncent à la vie plutôt que de se rompre au travail, où, par leur obstination ou leur stupidité, ils deviennent insupportables à leurs maîtres."
- Beaucoup plus près de nous, en 1794, Sir George Elliot, Vice-roi de l'île durant l'intermède anglais, ne parvenait pas à comprendre la réalité corse : "Ce peuple est une énigme dont personne ne peut être sûr de posséder la clef."
- Au XIX ° siècle, Paul Borghetti pouvait écrire : "Il est impossible que l'on puisse s'imaginer combien la Corse est ignorée par l'universalité des habitants de la France. Les pays les moins explorés, les régions les plus lointaines ne sauraient l'être davantage. Et ce qui est étonnant, c'est que tout le monde croit la connaître parfaitement. "
Jugements négatifs, incompréhension, déni de culture, oppression et domination: tel a été le lot séculaire de la Corse. Comment, dès lors, s'étonner d'une propension à la violence chez ce peuple meurtri par l'histoire ?
APPROCHE ETHNOPSYCHOLOGIQUE DE LA VIOLENCE EN CORSE.
Peuple, culture, spécificité, ces termes reviennent souvent lorsqu'il s'agit de parler de la Corse, que ce soit à travers l'histoire ou à travers l'actualité.
Aussi, plutôt que de mener une réflexion sur la violence en Corse en abordant successivement les aspects d'ordre sociologique, psychologique, culturel ou socioculturel, je grouperai sous le même terme d'ethnopsychologie tous les éléments de ma réflexion.
Certes, il eût été préférable de bien discerner chacun de ces domaines afin de mener une analyse rigoureuse et scientifique. Mais je n'aurai pas la prétention de réaliser un tel travail, qui requiert des compétences que je ne possède pas.
La violence que je m'attacherai à "décrypter" sera essentiellement la violence dite politique, même si, ce faisant, je serai amené à parler, accessoirement, des faits de violence rangés dans la rubrique des délits de droit commun.
A ce propos deux observations s'imposent:
- la première a trait au fait que souvent, les États ou les gouvernements ont tendance à parler de violence de droit commun, ou pire de terrorisme, alors qu'il s'agit de violence politique.
- la seconde a trait au fait qu'un climat de violence politique entraîne toujours un développement de la violence crapuleuse, quand celle dernière n'est pas elle-même une dérive de la violence politique. Ce fut le cas en France lors de l'occupation puis à l'heure de la libération.
La Corse, alors que la lutte armée était à son paroxysme, a connu ce phénomène aussi bien au niveau des dérives individuelles que des dérives de groupe.
La revendication nationaliste mère de la violence politique "organisée".
Le mouvement nationaliste corse aime à plonger ses racines dans l'histoire, en évoquant les incessantes révoltes menées par les habitants de l'île contre les occupants successifs.
La France, dernière puissance occupante, a dû réprimer des rebellions jusqu'en 1814. Depuis, si l'on excepte l'apparition, dans l'entre deux guerres d'un mouvement régionaliste exaltant la culture locale, mouvement quelque peu influencé par l'Italie fasciste, la présence française semblait ne plus devoir être contestée.
Or, à partir des années soixante, nous avons assisté à la résurgence d'une revendication "corsiste" qui s'est peu à peu radicalisée pour se transformer depuis 1975 (évènements d'Aléria) en revendication nationaliste.
La revendication nationaliste a donc alimenté une violence qui se voulait organisée, stratégiquement ou tactiquement conduite, ayant pour fondement une idéologie de libération contre le "colonialisme français", fossoyeur de l'identité culturelle locale et responsable du sous - développement de l'île, si ce n'est de son dépeuplement.
N'épiloguons pas sur les évolutions de la lutte nationaliste et ses péripéties internes, voire sur les luttes fratricides de ses différentes mouvances ou composantes, voire encore sur les "dérives", de certains de ses adeptes vers une violence moins "noble", et abordons le sujet de la violence mafieuse.
Une violence de plus en plus inquiétante, relevant du banditisme pur et simple, semble en effet s'être substituée à la violence politique.
Elle s'est développée sous la forme de bandes structurées. Cette violence trouve une de ses sources immédiates dans la relative expansion économique de l'île liée au phénomène touristique. Cette expansion, qui va de pair avec la spéculation foncière et immobilière, les investissements dans l'industrie du loisir, la prolifération des "night clubs", des bars, des restaurants et des "paillotes", engendre la pratique du "racket", les luttes d'influence pour le contrôle de territoires, les règlements de compte sanglants et autres pratiques relativement nouvelles en Corse.
En effet, autrefois, ces "activités" étaient certes exercées par des Corses expatriés sur le continent qui, conformément à la logique qui prévaut chez nombre d'immigrés, constituaient un "milieu" homogène lié par les origines et pratiquant la solidarité dans le délit ou le crime en territoire "étranger" ( cf. les Italiens en Amérique, les Maghrébins à Marseille ou les Juifs pieds-noirs à Paris etc.)
Désormais, comme le disait fort bien un journaliste du "Monde", les adeptes de la criminalité "organisée" semblent avoir choisi pour devise "vivre et braquer au pays".
Cette criminalité est exercée "sur le terrain" par de nombreux jeunes grisés par les mirages de la société de consommation et enclins à prendre des raccourcis expéditifs pour satisfaire leurs désirs de belles motos, voitures "haut de gamme", drogue, etc.
La violence politique précédemment évoquée, bien qu'elle proclame son ardent désir de combattre le fléau de la violence "crapuleuse" a pu, un temps, favoriser indirectement le développement de cette dernière, dans la mesure où, dans un climat général de violence, tout devient plus "facile".
Mais l'abandon de la lutte armée par les indépendantistes et l'affaiblissement de leur capacité à "se faire respecter" par les "bandes" qui sévissent dans l'île, affaiblissement attribué par certains à la volonté et aux manœuvres du pouvoir, ont conduit à la situation actuelle, où prédomine le phénomène mafieux.
Les facteurs de la violence en Corse.
Trois éléments constitutifs de la géographie corse paraissent fondamentaux : il s'agit d'une île essentiellement montagneuse située en Méditerranée. Un géographe allemand (Ratzel) l'a excellemment définie comme "une montagne dans la mer". Mais cette définition ne fait pas suffisamment apparaître les caractères relevant de son "iléité".
Les éléments géographiques, étroitement associés à l'histoire (et souvent même la déterminant), ont forgé, à n'en pas douter, le caractère des habitants de l'île et ont engendré une culture spécifique, ou si l'on préfère, une culture "traditionnelle".
Abordés sous l'angle ethnoculturel, les problèmes de la violence font rapidement apparaître une notion très présente en Corse, celle de l'honneur.
C'était autrefois la justification de ceux qui pratiquaient la vendetta pour venger l'honneur familial bafoué, ce fut la justification de ceux qui s'appelaient eux-mêmes "bandits d'honneur", c'est toujours la justification de nombreux criminels ayant fait eux-mêmes acte de justice pour réparer leur "honneur" bafoué.
Cette référence constante à l'honneur, à la dignité blessée, à la "réparation" violente, semble être une caractéristique du bassin méditerranéen.
Mais, en Corse, s'y ajoute le poids de l'histoire et des incessantes dominations subies, qui ont dû amener les "autochtones" à se faire justice eux-mêmes plutôt que d'accorder leur confiance à celle de l'occupant, suspecte de parti-pris en faveur de ses "serviteurs", souvent corrompue (notamment sous l'occupation byzantine et la domination génoise), et en tout cas peu encline à tenir compte des coutumes locales. Or, chacun sait que le sentiment de l'injustice subie alimente souvent les conduites agressives.
Une autre caractéristique de la violence locale réside dans son aspect parfois "clanique". La Corse, comme nombre de pays méditerranéens, a longtemps connu le phénomène des clans, sorte "d'invariant historique ". Ce phénomène clanique perdure et fait même de nos jours l'objet d'une vigoureuse dénonciation de la part des nationalistes, qui affirment (à juste titre en l'occurrence), que les clans se sont toujours appuyés et continuent de s'appuyer sur la puissance dominante du moment), laquelle à son tour les utilise pour maintenir ou conforter sa présence. L'origine des clans correspondrait, selon certains, à une dérive du système romain de la "clientèle". L'historien Francis Pomponi la situe plus scientifiquement lors de l'apparition des petits chefs, seigneurs, nobliaux et potentats locaux au Moyen Age. Au départ, selon F.Pomponi, le chef, choisi parmi les plus riches (car la richesse est souvent synonyme d'autorité et de puissance), est investi du pouvoir de justice. Mais il s'agit alors d'une justice plutôt arbitrale. Cette justice, par une dérive tout à fait classique, deviendra vite, parfois, une justice plutôt arbitraire.
Par une dérive non moins classique, le fondement même du clan, à savoir l'échange de services entre un protecteur et ses protégés aboutira avec la même célérité à des rapports de domination du type oppresseur-oppressés... sans pour autant que les oppressés remettent en cause l'allégeance au chef de clan.
En effet, s'instaure assez rapidement le sentiment d'appartenir à une vaste famille à laquelle on est fier d'appartenir, ou qui procure un sentiment de sécurité, et dans laquelle apparaissent des liens de solidarité. On est prêt, dès lors, à défendre les intérêts du clan dès qu'on les sentira menacés, et pour cela ... à faire usage de violence.
Quoiqu'il en soit, l'habitude s'est perpétuée chez de nombreux Corses de faire en quelque sorte acte d'allégeance politique à tel ou tel "chef" plutôt que d'effectuer ses choix politiques ou électoraux en fonction des clivages idéologiques nationaux.
A ce comportement, que l'on n'ose pas appeler "civique ", s'ajoute le témoignage usuel d'une solidarité élargie, au delà du cercle familial habituel, à toute une parentèle.
En fonction de ce devoir de "solidarité", celui qui se veut vraiment "Corse" adoptera donc toute une série de comportements et d'attitudes devant la loi, une loi, de plus, suspectée d'avoir été importée ou imposée par le pouvoir dominant.
Pour terminer sur le chapitre des clans, il faut préciser que le terme "clan" est d'importation française et d'origine irlandaise. En Corse, le terme utilisé pour désigner le groupe en question est plutôt celui de "partitu" (du latin " parure", qui signifie entre autres "partager", et qui évoque assez bien l'idée d'échanges, de partage des valeurs ou des biens communs, si ce n'est des intérêts communs).
Dans la société française actuelle, le terme de "parti" reflète également (et de plus en plus) cette idée. Aussi, la traduction littérale du terme de "partitu" pourrait être celle de "parti", moins péjorative que celle de "clan", et d'origine latine identique. Subsisterait cependant pour la Corse le fait que l'allégeance à un "chef" (charismatique ou non) est bien plus courante ou banalisée. C'est ici que nous retrouvons le poids de l'histoire, l'originalité profonde de l'île de Corse, peut-être aussi les influences méridionales et quelques uns des traits de caractère propres à l'Italie voisine, à la Sardaigne encore plus proche, voire même à la Sicile, si bien décrits par Dominique Fernandez dans "Mère Méditerranée ".
Par ailleurs, la Corse se caractérise par ce que j'appellerai, paraphrasant Patrick Baudry, une "sociologie du tragique". Dans un ouvrage qui porte ce titre, l'auteur analyse le rapport permanent de la violence et du pouvoir. Or, le pouvoir, en Corse, est toujours venu de l'extérieur, et n'a jamais été celui des autochtones. Au mieux, certains de ceux-ci, relais ou serviteurs de l'occupant du moment, ont ils exercé par délégation une partie du pouvoir.
Aussi, comment parler de violence en Corse sans faire référence à l'histoire et à la culture ? Comment ne pas rappeler la lutte multiséculaire entre un droit coutumier local et le droit coutumier ou écrit de la puissance dominante ?
CONCLUSION.
Replacés dans un contexte historique et culturel, les phénomènes de violence prennent une dimension moins strictement "délictuelle" ou "criminelle". En effet, ils se posent en termes d'atteinte à un ordre public ...défini ou imposé par le pouvoir dominant.
Certes, comme l'explique Patrick Baudry, "la domination prend (de nos jours) le visage d'une gestion pacifiée de la vie". La violence d'État est de mieux en mieux "camouflée". Elle est subtile et "invisible", et l'appareil répressif n'existe qu'en second recours, lorsque la manipulation idéologique, la "décomposition du social en masse atomisée", la "culpabilité généralisée", le chantage à l'insécurité et autres procédés n'ont pu empêcher les explosions individuelles ou collectives.
"Le pouvoir fait disparaître sa propre violence et fige celle qui s'exerce contre lui..."
A partir de là, toute manifestation de violence, fût-elle relativement légitime, se trouve condamnée. Elle est logiquement condamnée par le pouvoir, mais aussi, ce qui devrait être moins évident, par la majorité de la population (du moins lorsque celle-ci est encore sous l'emprise d'une aliénation).
Une analyse plus poussée de "l'énigme corse" actuelle ferait apparaître aussi, en dehors du poids de l'histoire, en dehors de la violence d'État (sournoise ou déclarée) à laquelle prétend répondre la violence terroriste, une violence assez peu imputable au pouvoir politique.
Il s'agit de la violence qu'exerce la "structure perverse de la société marchande, qui réduit l'homme à l'état de producteur-consommateur, voire à l'état de marchandise". La Corse n'échappe pas à la règle.
La civilisation agro-pastorale traditionnelle avait déjà subi le choc d'une civilisation industrielle venue du Nord. Elle avait néanmoins subsisté, quoique frappée d'archaïsme, jusque vers les années soixante. Mais depuis cette date ont déferlé sur nos rivages la société de consommation puis l'invasion touristique.
Du coup, toutes les structures ancestrales ont été balayées, les mœurs et les usages relevant de la tradition ont perdu leur force normative, et l'insulaire est devenu en quelque sorte un déraciné sur son propre territoire, ou un "immigré de l'intérieur".
Dans pareil bouleversement, la crise d'identité, génératrice comme chacun sait, de comportements délictuels, frappe aussi bien les adultes que les adolescents, et la Corse s'accroche désormais à des valeurs mythiques d'honneur, de solidarité, d'esprit communautaire, de dignité, de justice ... tout en sombrant dans les délices du consumérisme dominant.
Désormais, le verbe dément sans cesse la pratique, ou l'inverse. Et tandis que l'argent, le profit, le plaisir deviennent les moteurs de toute activité, les vertus traditionnelles sont exaltées en termes passionnels.
Sous l'effet conjugué des médias, de l'invasion touristique et de la société marchande, les insulaires naviguent entre les séquelles de la culture traditionnelle locale, les charmes de la culture française, et ceux, moins évidents, de la mondialisation. Rien d'étonnant, alors, à voir se développer une violence délictuelle.
Cette violence là ne peut être cautionnée ou excusée.
En va-t-il de même de la violence politique qui se veut "libératrice" ? Les exemples abondent, dans l'histoire, des excès de la violence libératrice. Les guerres qui ont accompagné les décolonisations en sont un témoignage. Les guerres civiles menées au nom de la libération économique ou sociale en sont un autre exemple. Faut-il à ce propos rappeler les horreurs du bolchevisme stalinien, ou celles de khmers rouges ?
Il est permis aussi de s'interroger aussi sur la valeur du terrorisme comme moyen d'expression, d'action ou de persuasion. La condamnation portée par les pays à dominante chrétienne ou "judéo-chrétienne" à propos des procédés utilisés par la mouvance intégriste islamique, pour justifiée qu'elle soit, révèle qu'incriminer les pratiques, les turpitudes et les abominations de l'ennemi est un exercice aisé à condition de ne pas oublier les horreurs de l'esclavage, celles de la conquête des Amériques, celles des diverses colonisations.
Pour revenir à la Corse et conclure, je dirai simplement qu'expliquer n'est pas approuver, comprendre n'est pas légitimer. J'ai tenté pour ma part de mener une réflexion non partisane sur les fondements de la violence en Corse, mais, respectueux des idées d'autrui, je laisse à chacun la responsabilité de ses propres engagements.