septembre 18,2007
Dans une grande affaire, on est toujours forcé de donner quelque chose au hasard… (Napoléon Bonaparte)
Au cours de sa prodigieuse carrière, Napoléon rencontra devant lui un ennemi implacable, un compatriote, le diplomate Charles-André Pozzo-di-Borgo ; l’inimitié de ces deux corses a peut-être modifié le cours de l’Histoire.
Charles-André Pozzo-di-Borgo est né à Alata, petit village à 10 kilomètres d’Ajaccio, le 8 mars 1764 ; après de brillantes études à l’université de Pise, il se fit inscrire comme avocat à Ajaccio ; Joseph Bonaparte, qui avait pris; à la mort de son père, la direction des affaires de la famille, se lia d’amitié, en 1786, avec ce jeune avocat « fort habile dans sa profession » qui lui prêta souvent son appui dans ses intérêts de famille ». Napoléon Bonaparte, lieutenant en second au régiment de la Fère, arriva à Ajaccio le 15 septembre 1786, et ne quitta la Corse, pour aller rejoindre son régiment à Auxonne, que le 1er juin 1788 ; au cours d’un séjour de près de deux ans à Ajaccio, il eut des relation suivies avec Pozzo-di-Borgo. « Nous avons lu ensemble, dit Pozzo, Montesquieu et d’autres livres de politique et de legislation. Il saisissait toutes le grandes idées avec une impatience incroyable… »
Après la prise de la Bastille, le 14 juillet 1789, un mouvement révolutionnaire éclate en France, gagne la Corse. Le lieutenant d’artillerie Bonaparte, rentré à Ajaccio à la fin de septembre 1789, et Charles André Pozzo-di-Borgo, se montrent des enthousiastes des idées nouvelles, se signalent à l’attention publique. « Napoléon et moi, disait Pozzo, nous causions de ce qui était et de ce qui pouvait arriver. Nos têtes se montaient ; je puis dire que la sienne avait, à cet égard, la supériorité ».
Mais Paoli vient de rentrer en Corse, en juillet 1790, après 20 ans d’exil ; il est frappé par la parole éloquente, l’intelligence déliée de Pozzo ; il le fait désigner comme député extraordinaire, le 23 septembre 1790, pour présenter à l’Assemblée Nationale, avec Antoine Gentili, les adresses votées au Congrès d’Orezza, puis le 13 septembre 1791, il le fait élire député à la Législative.
Le lieutenant Bonaparte prit-il ombrage de ce que Pozzo avait été nommé député à la Législative plutôt que son frère Joseph ? C’est fort probable. Mais un dissentiment sérieux allait bientôt se produire entre les Pozzo et les Bonaparte. Le 1er avril 1792, le lieutenant Bonaparte se faisait élire lieutenant-colonel des gardes nationales de la Corse, en ayant recours à un coup de force, contre Mathieu Pozzo-di-Borgo, le frère du député à la Législative. Dans ses notes de 1838, Pozzo paraît n’avoir gardé aucune amertune de cet incident. « Je reçus à Paris, dit-il, des protestations et des actes qui pouvaient faire annuler l’élection à cause des irrégularités qui l’avaient accompagnée. Loin d’y avoir égard, je donnai tort aux miens d’avoir voulu opposer le moindre obstacle à Napoléon et je les priai de se réconcilier ».
En tout cas, la cordialité et la confiance avaient disparu. Bonaparte s’était rendu à Paris, le 28 mai, pour obtenir sa réintégration dans l’artillerie, il rencontra Pozzo à l’Hôtel des Patriotes hollandais, et ils eurent, tous deux, « l’air contraint, cependant ami » ; Pozzo promit, par la suite, de faire une démarche en sa faveur, mais n’en fit rien. Néanmoins, le 19 juillet, Bonaparte était nommé capitaine au 4° d’artillerie.
Le dissentiment entre Pozzo et Bonaparte n’allait pas tarder à prendre une tournure violente. Le champ d’action qu’offrait la Corse était trop étroit pour ces jeunes ambitieux.
Joseph Bonaparte avait posé sa candidature, le 22 septembre 1792, au quatrième siège de député à la Convention, et il s’était heurté, entre autres, à l’hostilité sourde de Pozzo ; or, Paoli était nommé par décret du 11 septembre, commandant des forces militaires de la Corse, avec le concours, disait-on, de Pozzo, qui était en excellents termes avec Servan, ministre de la guerre ; ce garçon actif, ambitieux, séduisant, avait réussi à s’imposer à l’esprit de Paoli, un vieillard de soixante-huit ans, fatigué et malade, qui le faisait élire, fin décembre 1792, procureur général syndic, c’est à dire chef réel de l’Administration en Corse, malgré l’opposition violente que lui avaient faite les Bonaparte ; ceux-ci avaient de réels motifs de ressentiment contre Paoli qui les tenait en suspicion, avait refusé d’agréer Lucien comme secrétaire, n’avait pas consenti à réserver une place à Joseph dans la nouvelle administration ; les Bonaparte attribuaient l’attitude de Paoli à leur égard aux menées de Pozzo-di-Borgo qui disposait d’un pouvoir sans limites. Il en convint lui-même dans ses Notes : Le général Paoli était l’objet de la vénération publique et la force du parti, mais j’en étais l’action. « Egli capo, io mano ».
Les Bonaparte n’étaient pas gens à se laisser barrer la route sans réagir ; ils liaient partie avec les jacobins, les Arena, les Saliceti, les pires ennemis de Paoli, qui débitaient des infamies sur son loyalisme ; en attaquant Paoli, ils visaient à ruiner le crédit de Pozzo ; or, par décret du 2 avril 1793, Paoli et Pozzo-di-Borgo étaient mis en accusation et traduits à la barre de la Convention ; le Directoire du département interceptait une lettre de Lucien Bonaparte, dans laquelle il se vantait d’avoir provoqué le décret du 2 avril, et où il avouait, avec cynisme : « Paoli et pozzo décrétés d’accusation et notre fortune est faite. » Pozzo faisait imprimer cette lettre, la rendait publique ; il était à ce moment animé d’une haine violente contre les Bonaparte ; il déployait une activité fébrile pour déjouer les manoeuvres des ennemis de Paoli ; sous son inspiration, celui-ci convoquait une Assemblée des Communes, à Corté, le 26 mai 1793, et la Corse se mettait en révolte contre la Convention ; à la séance du 29 mai, Pozzo faisait voter, entre autres, une flétrissure contre « les Bonaparte, nés dans la fange du despotisme, élevés sous les yeux et au frais d’un pacha luxurieux (Marbeuf) qui commandait dans cette île… qui s’étaient faits de vils agents de la faction tyrannique qui avait conjuré de réduire la Corse à l’esclavage… » ; Pozzo en bon Corse assoiffé de vengeance, ne s’en tenait pas à des blâmes platoniques infligés dans un Congrès ; il expédiait des détachements armés en divers points de la Corse pour châtier les ennemis de Paoli ; une troupe armée fut envoyée à Ajaccio pour s’emparer des Bonaparte ; Letizia Bonaparte, prevenue à temps, réussit à quitter la ville nuitamment avec ses enfants, et, après avoir érré dans le maquis, elle put prendre passage sur une des frégates françaises qui étaient venues mettre le siège davant Ajaccio ; tandis que les Bonaparte quittaient la Corse pour se soustraire aux fureurs des Paolistes, tous leurs biens étaient dévastés ou brûlés.
Pozzo, engagé dans une politique contre la France, était entraîné à placer la Corse sous la souveraineté de l’Angleterre (juin 1794) ; il en fut récompensé par la nomination de Président du Conseil d ‘Etat du gouvernement anglo-corse.
Bonaparte, de son côté, devenait, en moins de trois ans, après son départ de Corse, le glorieux général en chef de l’armée d’Italie ; son premier soin fut de délivrer la Corse de l’occupation anglaise (octobre 1796) « il ordonnait au général Gentilli (17 octobre1796) de faire arrêter et juger par une commission militaire les quatre députés qui avaient porté la couronne au roi d’Angleterre, les membres du Gouvernement et les meneurs de cette infâme trahison, entre autres les citoyens Pozzo-di-Borgo, etc… » Mais Pozzo avait réussi à quitter la Corse pour l’Angleterre, le 20 octobre 1796.
L’antagonisme de ces deux Corses allait se déployer désormais sur un théâtre plus vaste.
Tandis que Bonaparte atteignait l’apogée de la puissance, devenait Empereur de Français, maître de l’Europe, le proscrit Pozzo, sans famille, sans fortune, sans patrie, ne cessait pas un instant de le poursuivre de sa haine. Il écrit mémoires sur mémoires, se met au service de la Russie, se rend à Londres, à Vienne, Saint-Pétersbourg, aux Dardanelles, suggérant, provoquant contre « son ennemi personnel Bonaparte » les coalitions les plus fatales « quittant alternativement les cours qui se rapprochaient de la France pour se rendre auprès de celles qui s’en éloignaient, revenant auprès des premières quand elles rompaient avec nous et toujours soufflant l’ardeur dont il était animé (1) ». Les victoires les plus éclatantes de Napoléon, Ulm, Austerlitz, Iéna, Wagram et les traités de paix qui s’en suivent ne découragent pas Pozzo, n’entament pas son énergie.
C’est Pozzo qui décide Bernadotte à prendre parti contre Napoléon ; c’est lui qui pousse les alliés à marcher sur Paris, qui fait reléguer Napoléon à l‘île d’Elbe, et, plus tard, à Sainte-Hélène.
Ce n’est pas moi, sans doute, dit-il à Talleyrand, après Waterloo, qui ait tué politiquement Bonaparte ; mais c’est moi qui lui ait jeté la dernière pelletée de terre. »
Au cours de ces quatorze années de lutte, Napoléon s’efforça, mais en vain, d’atteindre son redoutable ennemi ; il demanda même, après le traité de Vienne, son extradition, sans pouvoir l’obtenir.
« C’est Pozzo-di-Borgo, croit-on, dit Napoléon à Sainte-Hélène, qui a conseillé à l’Empereur Alexandre de marcher sur Paris ; il a, par ce seul fait, décidé des destinées de la France, de celle de la civilisation européenne, de la face et du sort du monde. »
On s’est souvent demandé d’où venait la haine atroce de Pozzo contre Napoléon. Dans une curieuse conversation que Pozzo a eue avec Alfred de Vigny, le 10 juillet 1830, il ne cesse de se représenter « l’antagonisme de Bonaparte » et il trouve moyen de lui dire « que la source de sa haine contre Bonaparte avait été la dénonciation de Lucien en 1793, qu’il avait lutté toute sa vie et avait fini par lui porter le dernier coup ; que, lorsque Alexandre l’avait abandonné, il avait demandé un firman au Grand Seigneur pour traverser ses terres et se retirer. Vienne, après le mariage de Bonaparte, ne le livra pas, mais l’abandonna. Ce fut alors qu’il se retira en Angleterre ; de là, il écrvit à l’Empereur Alexandre : « Je ne suis plus votre sujet, mais serai toujours votre serviteur. Vous ferez la guerre à Bonaparte, et je vous servirai alors. Bonaparte est perdu s’il vise à l’infini ».
Pozzo a toujours eu la préoccupation de faire bonne figure devant la postérité ; il se pourrait qu’il n’ait pas avoué la raison secrète de sa haine contre Napoléon. Il est probable que Lucien Bonaparte a été la cause déterminante du décret du 2 avril 1793, qui traduisait Pozzo à la barre de la Convention. Mais la dénonciation de Lucien, dont il avait, d’ailleurs, tiré vengeance, a plutôt favorisé son ambition. Elle l’a amené à exercer pendant deux ans, sous le titre de Président du Conseil d’Etat du Gouvernement anglo-corse, les fonctions offcielles deVice-Roi de la Corse. Il était mieux fonder à donner comme motif de sa haine l’expédition du général Bonaparte en Corse en 1796, qui l’avait précipité du pouvoir, et l’avait obligé à mener une vie errante de proscrit.
Les événements de 1793, au contraire, autorisaient Napoléon à garder une haine sourde contre Pozzo. Il ne pouvait pas oublier que, dans la journée du 29 mai 1793, en présence de délégués de toutes les communes de la Corse, Pozzo avait jeté l’opprobre sur sa famille, et oser porter atteinte à l’honneur de sa mère.
La haine de Pozzo contre napoléon ne nous paraît donc pas se rattacher aux incidents de 1793. Thiers l’attribue à l’envie.
Pozzo avait connu Bonaparte à Ajaccio petit lieutenant d’artillerie ; il lui avait apparu comme un jeune ambitieux effréné, à l’esprit fiévreux, prompt à toutes les audaces pour réussir ; il avait fréquenté la famille Bonaparte et n’ignorait pas qu’elle se débattait péniblement au milieu des difficultés de la vie ; Bonaparte était plus jeune que lui de cinq ans ; il l’avait nettement dominé dans toutes les circonstances où ils s’étaient trouvé en compétition, et il a dû s’imaginer qu’il lui était supérieur en finesse, en sens politique. Il est vraisemblable que lorsque Bonaparte devenait, en très peu d’années, général en chef glorieux, Premier Consul, Empereur, il a dû être stupéfait, attribuer son élévation à un concours de circonstances inouïes, et ne cesser de voir en lui le petit politicien d’Ajaccio, et fils de Letizia, au cerveau tumultueux dont la fortune invraisemblable ne pouvait durer.
Cette hypothèse se trouve corroborée par une observation de Miot sur la mentalité des contemporains de Napoléon. Miot, se trouvait à Ajaccio au moment où Napoléon fut nommé Consul à vie, et il a constaté les « dispositions envieuses de la population » qui, à cette nouvelle, ne se livra « à aucune démonstration de joie ou de sympathie. En général, il y eut plus d’étonnement que d’enthousiasme. On ne savait comment concilier cette fortune surprenante avec les souvenirs trop récents de la famille Bonaparte, que tous les habitants d’Ajaccio avaient connue dans un état si éloigné de sa grandeur actuelle.
(1) Thiers – Histoire du Consulat et de l’Empire, XVII, 105
(Extrait du Souvenir de Napoléon à Ajaccio de Jean-Baptiste Marcaggi)
https://france3-regions.francetvinfo.fr/corse/corse-du-sud/ajaccio/bonaparte-pozzo-di-borgo-freres-ennemis-ajaccio-1622613.html
Bonaparte - Pozzo di Borgo : les frères ennemis d'Ajaccio
C'est la haine dans les gênes. Depuis toujours les Bonaparte et les Pozzo di Borgo cultivent la bataille rangée. De la simple chamaillerie au conflit politique, pour comprendre comment ces deux familles se sont élevées l'une contre l'autre il faut se plonger dans l'Ajaccio de la fin du 18e siècle
C'est entre ces étroits chemins pavés que leur histoire commune a commencé. Personne ne sait comment cette haine s'est déclarée, comment les familles Bonaparte et Pozzo di Borgo en sont arrivées à se détester. Peut-être un simple regard au détour de la cathédrale ou alors une ancienne querelle de cousins. Les raisons officielles restent hypothétiques.
Ce qui est sûr c'est que cela s'est matérialisé au fil des années de manière de plus en plus virulente. Une véritable guerre d'ego avec pour chaque camp un général.
La course au succès
D'un coté Charles-André Pozzo di Borgo né à Alata le 8 Mars 1764 de l'autre Napoléon Bonaparte né le 15 août 1769 à Ajaccio. Ils sont animés tous les deux de l'ambition que l'on pourrait attribuer communément aux Ajacciens : réussir pour partir. La très peu galonnée cité bien loin d'être impériale à cette époque ne fait pas rêver. Pour y arriver rien de tel que la politique.
Nés tous deux de nationalité corse, ils ont leur premier contact avec le monde de la politique de manière inédite au terme de 15 ans d'indépendance et d'innovation menés par le Général Pasquale Paoli. Malgré leur départ précoce pour suivre leurs études, leur éducation politique est tout de même influencée par cet homme, que cela soit pour Pozzo di Borgo ou Bonaparte lui adressant ces hommages dans une lettre passionnelle .
C'est ensuite que les dissensions politiques vont s'accentuer. Pendant la Révolution française, Napoléon tend vers les jacobins et Charles-André se range du coté des girondins. Celui-ci est salué par Paoli.
En 1794 la collaboration Paoli/Pozzo se concrétise par la mise sous protectorat Anglais de la Corse. Charles-André devient Président du conseil d'Etat et interlocuteur privilégié de Pasquale Paoli et de la Grande-Bretagne.
Pendant ce temps Napoléon Bonaparte, lui aussi connaît une ascension fulgurante en tant que commandant. Il gravit l'échelle sociale et est maintenant respecté par le tout Paris où il vient de s'installer.
L'armée pour l'un la diplomatie pour l'autre, chacun continue son chemin.
Jusqu'au Consulat et enfin à l'Empire où Napoléon ressortira vainqueur de cette course effrénée.
Charles-André lui, entre au service de la diplomatie russe jusqu'à en devenir ambassadeur plénipotentiaire.
De leur début à l'apogée de leur carrière, les deux ajacciens n'ont cessé d'être diamétralement opposés.
Une guerre politique et de symbole
Déjà durant cette période les tensions se font ressentir. La légendaire rivalité serait née ici et va se traduire par plusieurs coups bas.
Comme cette fois où un pot de chambre et son contenu ont atterri malencontreusement sur le balconnet de la famille Bonaparte, son destinataire n'étant autre que le voisin du dessus. Peut-être une simple rumeur mutée en légende au fil des siècles, rien n'est pour l'heure avéré.
Quelques années plus tard, ce genre de litige s' est transformé en haine viscérale.
Après sa nomination en tant que Général en chef de l'armée d'Italie, Napoléon Bonaparte envoie des troupes sur l'île pour mettre fin au royaume anglo-corse. Il en profitera pour demander l'arrestation de son vieil ennemi Charles-André. Il fuira à Rome.
En 1814, après la désastreuse campagne de Russie, Pozzo di Borgo alors Ambassadeur du Tsar pousse la coalition européenne à entrer dans Paris pour faire abdiquer Napoléon 1er.
Du concret mais aussi du symbolique, grâce à sa carrière de diplomate Charles-André Pozzo di Borgo construit le château de la Punta sur un magnifique domaine sur les hauteurs d'Alata. Il a comme particularité d'être orné des pierres des Tuileries, un dernier trophée de chasse pour la famille.
https://www.persee.fr/doc/rhmc_0996-2727_1938_num_13_34_4001_t1_0343_0000_4
Ordioni (P.), Pozzo di Borgo, diplomate de l'Europe française, 1935, 298p
C'est pour une partie du volume le récit de l'antagonisme qui dressa Pozzo di Borgo contre Bonaparte. Bonaparte est imprégné de l'esprit philosophique du XVIIème siècle français. Pozzo est un Méditerranéen nourri des institutions juridiques de la Rome antique. Bonaparte est l'incarnation du principe impérial, Pozzo le défenseur de la monarchie traditionnelle, légitime et héréditaire, l'ennemi du pouvoir personnel. Toute sa politique tend à ruiner la puissance de son compatriote.
Napoléon abattu, Pozzo applaudit à la restauration des Bourbons.
II se propose alors de faire triompher la contre-révolution et d'édifier une Europe française. Mais ni le Congrès de Vienne, ni la première Restauration, ni la politique des ultras et de Charles X, ni l'attitude de l'Angleterre ne le satisfont. La révolution de juillet 1830 achève de le décevoir. Ses plans, en fin de compte, ont échoué. Napoléon avait créé partout des nationalismes. Pozzo les a bien utilisés pour abattre l'Empire et dans l'espoir de refaire l'Europe sous l'influence d'une France forte. Mais les nationalismes furent plus forts que son système. Pozzo ne réussit pas à rendre à la France le prestige dont il avait rêvé pour elle, ni à reconstruire l'Europe suivant les règles qu'il s'était tracé. Telle est l'argumentation.
L'ouvrage du Baron Ordioni est systématique, tout en antithèse, vivant à coup sûr d'un bout à l'autre. Mais il est une tentative pour réhabiliter Pozzo di Borgo. Tâche difficile ! Pozzo est entré au service du Tsar. Il a toujours lutté, et de toutes ses forces, contre la puissance de Napoléon. Il a suivi la courbe du génie impérial, supputant ses faiblesses. Il l'admire, mais il applaudit aux victoires des Alliés ; il est en correspondance avec le comte d'Artois et pousse à la marche sur Paris. Il fait partie de ce groupe de royalistes qui ne surent pas résister à leurs passions partisanes et contribuèrent, sous le prétexte de détruire la «tyrannie » et dans l'espoir d'une restauration monarchique, à conduire la France à la ruine et à l'invasion.
Félix Ponteil.
Pozzo di Borgo et Bonaparte en Corse
Paul Maurin-Carcopino
Impr. du Sud-Est, 1967 - 285 pages
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Paul-Louis Albertini, Joseph Marinetti |
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https://journals.openedition.org/ahrf/10790
John M. P. McErlean, Napoléon et Pozzo di Borgo 1764-1821
John M. P. McErlean, Napoléon et Pozzo di Borgo 1764-1821, Versailles, Éditions de Paris, 2007, 362 p., ISBN 978-2-85162-198-6, 29 €.
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1Longtemps professeur d’histoire à l’Université de Toronto, John McErlean a publié ce volume en anglais il y a une dizaine d’années, chez un petit éditeur du pays de Galles dont les livres se vendent très cher (Napoleon and Pozzo di Borgo in Corsica and After, 1764-1821. Not Quite a Vendetta, Lampeter, Edwin Mellen Press, 1996). C’est sans doute grâce à l’aide des afficionados contemporains de Bonaparte que cet ouvrage paraît désormais en français, quelque peu abrégé et dans un format plus accessible. N’est-il pas doté d’un préface du prince Charles Napoléon et traduit par les soins du comte Pozzo di Borgo, qui prouve que des liens entre ces deux familles corses existent encore et semblent plus amicaux que sous la Révolution et l’Empire, quand Napoléon et Pozzo sont devenus des adversaires redoutables ? Comme le sous-titre de la version anglaise l’indique bien, le célèbre ressentiment qui a divisé ces deux jeunes hommes, amis devenus ennemis, n’était pas vraiment de l’ordre de la vendetta, et offre un sujet irrésistible qui a déjà attiré d’autres écrivains.
2Né à Ajaccio, cinq ans avant Napoléon, Carlo-Andrea Pozzo di Borgo appartient également à une famille noble. À la suite de ses études il est admis au barreau et représente la famille Bonaparte dans plusieurs procès au cours des années 1780 finissantes. Pozzo est ami de Joseph, le frère aîné de Napoléon, en même temps que de ce dernier, et tous les trois partagent les mêmes avis sur l’avenir de leur île natale au début de la Révolution. Pozzo, qui participe aux événements révolutionnaires dès le début et devient administrateur départemental, puis député à l’Assemblée législative en 1791, connaît pourtant plus le succès politique que ses proches collègues. Cette rivalité, personnelle plutôt qu’idéologique, explique un certain refroidissement de relations, mais l’option des Bonaparte pour la France n’est pas pour autant inévitable. Pozzo est la main droite de Paoli, « père de la nation », revenu pour prendre le dessus en Corse non sans quelques malentendus avec le gouvernement à Paris. C’est à la suite de la dénonciation du « Babbu di a Patria » par le jeune Lucien Bonaparte, en 1793, au club Jacobin de Toulon, que l’hostilité entre les ci-devant alliés devient implacable et qu’ils s’associent aux partis opposés de façon définitive. Les Bonaparte doivent s’établir en France, tandis que, resté dans l’île, Pozzo est nommé premier ministre du vice-roi Gilbert Elliot durant le bref épisode du royaume anglo-corse, en 1794-1796. Les rebelles corses ont cherché l’aide des Anglais pour mieux soutenir leur résistance à la République jacobine et c’est Pozzo qui leur rédige une constitution. Obligé de quitter à jamais la Corse à son tour, Pozzo arrive en Angleterre en 1797 où il fréquente les milieux des émigrés. Il commence bientôt une brillante carrière diplomatique qui va occuper le reste de sa vie et comprendre le fameux conflit avec l’empire français de son ancien ami ajaccien. Serviteur du tsar, Pozzo assiste à la bataille de Waterloo et survit à Napoléon pour jouer un rôle important sous la Restauration, attaché à la cour de France – un Corse remplaçant l’autre, dit-on.
3Il faut d’abord constater que le titre du livre de McErlean est trompeur. En réalité il ne traite que les années corses de Pozzo, de sa jeunesse jusqu’à la chute du régime anglo-corse en 1796. L’essentiel consiste dans une biographie politique de Pozzo – dans son île natale et à Paris – avec des allusions aux fortunes de la famille Bonaparte et de Napoléon lui-même : plutôt Pozzo et Napoléon que l’inverse. Cette étude plus réduite est le fruit des recherches doctorales de McErlean sur les origines du futur diplomate russe. En effet, la grande lutte entre ces deux hommes ne commence vraiment qu’après 1796, avec le succès de Bonaparte en Italie qui entraîne l’évacuation de la Corse par les Anglais. L’affrontement entre le général, devenu chef d’État de la France, et l’homme du tsar Alexandre, est finalement abordé dans ce tome, dans une perspective européenne où Napoléon figure d’une manière aussi importante que Pozzo, mais seulement dans un bref épilogue de trente pages. L’idée d’intituler le livre Napoléon et Pozzo di Borgo 1764-1821 est sans doute un moyen d’attirer un lectorat plus large, mais au prix d’une possible déception de ceux qui s’attendent à trouver une étude consacrée à la première décennie du XIXe siècle.
4On a parfois prétendu que Pozzo doit son renom aux exploits militaires et politiques de Napoléon. Ceci est injuste car, bien avant les campagnes d’Italie, comme à la suite de Waterloo, Pozzo a créé sa propre carrière. Comme beaucoup d’autres à cette époque, Pozzo et Bonaparte sont deux jeunes hommes talentueux et ambitieux, issus du même lieu, qui ont saisi l’occasion de se distinguer. Les activités de Pozzo en Corse méritent l’étude que McErlean y a consacrée, même si l’on aurait souhaité des précisions sur la nature de « l’exception corse » au cours de la Révolution, et des comparaisons avec les autres sites de tensions Paris-province et les interventions anglaises ailleurs dans la Méditerranée. Somme toute, il est évident que Pozzo n’est pas un contre-révolutionnaire avéré mais quelqu’un qui poursuit une voie politique moyenne et maintient ses principes libéraux sous la Restauration, avant de saluer l’avènement de Louis-Philippe en 1830. Ce Corse, patriote et cosmopolite (comme Napoléon d’ailleurs), nous aide ainsi à comprendre l’ère des révolutions.
5La vie de Pozzo n’est pas facile à saisir à cause de sa grande envergure chronologique et géographique, étalée sur plusieurs décennies et tout un continent. Il est dommage que McErlean, qui a continué à publier des articles intéressants sur son sujet, n’ait pas saisi l’occasion de cette traduction pour revoir son texte et le mettre à jour à la lumière des ouvrages parus pendant ces dernières années. Son Napoléon et Pozzo, cantonné dans une période trop courte, constitue néanmoins un travail sérieux, solide par les sources manuscrites consultées, dont les papiers privés de Pozzo et ceux des acteurs britanniques. Il nous offre ainsi une bonne histoire des années corses d’un personnage qui incarne si bien son temps, mais qui attend toujours une biographie plus complète.
Pour citer cet article
Référence papier
Malcolm Crook, « John M. P. McErlean, Napoléon et Pozzo di Borgo 1764-1821 », Annales historiques de la Révolution française, 355 | 2009, 240-242.
Référence électronique
Malcolm Crook, « John M. P. McErlean, Napoléon et Pozzo di Borgo 1764-1821 », Annales historiques de la Révolution française [En ligne], 355 | janvier-mars 2009, mis en ligne le 01 décembre 2009, consulté le 07 novembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/ahrf/10790 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ahrf.10790