Ceci dit, s'agissant de la révolution de 1917 et de la guerre civile qui a ravagé la Russie de 1917 à 1921, il est de coutume d'opposer uniquement les "réactionnaires" BLANCS, fidèles au tsarisme, et les révolutionnaires ROUGES.
Si, à propos des Blancs, les tsaristes seuls sont habituellement évoqués, alors que l'opposition aux révolutionnaires bolcheviques a été bien plus diversifiée, il convient, à propos des Rouges, généralement assimilés au seuls bolcheviks, de distinguer dans la galaxie révolutionnaire la composante anarcho-libertaire.
L'une de ses figures de proue fut Nestor Makhno, qui connut une incontestable notoriété du fait des succès qu'il remporta tant contre les Blancs que contre les Rouges en Ukraine.
Les combattants qui s'engagèrent dans les armées de Makhno provenaient essentiellement de la classe paysanne. Le terme de " Verts" leur a donc été parfois appliqué.
Mais il y eut d'autres composantes parmi les acteurs de sensibilité libertaire dans la révolution russe. Les articles qui suivent, puisés dans différentes sources relevant de l'idéologie libertaire, permettront au lecteur d'embrasser dans son ensemble la problématique du combat révolutionnaire anarchiste.
Par ailleurs, les Juifs russes révolutionnaires étant généralement ou ordinairement catalogués essentiellement comme bolcheviques, il ne paraît pas inopportun de rappeler que nombre d'anarcho-libertaires étaient d'origine juive.
Nous dressons ci-après un tableau en 3 parties du mouvement anarchiste dans la révolution russe :
I. La Makhnovtchina ( Революційна Повстанська Армія України )
II. Les anarchistes dans la révolution russe
III. Anarchistes et Juifs dans la révolution russe
J.M
Nestor Makhno, anarchiste et libertaire, s'appuyant essentiellement sur la paysannerie ukrainienne, a mené une lutte opiniâtre à la fois contre les rouges et les blancs, s'alliant de manière conjoncturelle avec les uns et avec les autres.
Définitivement vaincu par les Rouges et proscrit, il a terminé sa vie en exil à Paris en 1934, sans jamais renier son combat pour un communisme libertaire et son idéal de libération paysanne.
J.M
Signalons
- le film documentaire d’Hélène Chatelain consacré à Nestor Makhno : "Nestor Makhno, paysan d’Ukraine"
- La chanson " La makhnovchtcina" Ukraine 1918-1921:
https://www.youtube.com/watch?v=fPLHhnEIXvI&t=489s
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Tiré de : http://www.autogestion.asso.fr/?p=4404
Nestor Makhno
Il y a des personnages historiques qui deviennent des légendes. Et les mythes ont la vie dure. Il en est ainsi avec Nestor Makhno, dirigeant anarchiste ukrainien qui, dans années vingt, joua un rôle majeur dans la lutte contre les armées blanches de Denikine. Si les mythes ont la vie dure ils sont rarement l’expression de la vérité mais avec Makhno il y a un double mythe : il y a la version Bolchevik et la version Libertaire. En fait comme le montre la rencontre de Makhno avec Lénine que nous publions à la suite la divergence est stratégique : Lénine appréciait la situation dans le contexte international avec le risque de défaite de la révolution, Makhno réduisait sa conception à la situation des paysans ukrainiens. Mais la réalité de la Tcheka et son rôle néfaste a tranché. La conception même des bolcheviks qui se considéraient comme LES dirigeants de la révolution poussait vers cette issue. Mais sur le terrain la Makhnovchtchina a joué un rôle très positif contre les blancs et a souvent appuyé des mesures autogestionnaires.
Selon la version Bolchevik on parle des bandes de Makhno, qui deviennent avec le temps les bandits de Makhno. Puis on rajoutera antisémites. Bande est un mot quasi neutre mais qui souligne un fonctionnement « désorganisé », en tous les cas non militaire ce qui s’explique par le fonctionnement du système de commandement très éloigné des modèles classiques. (Voir plus loin.)
Il permet surtout de passer de « bandes » à bandits ce qui n’est plus neutre. Quant à « l’antisémite » c’est un qualificatif qui pourrait sembler crédible dans un pays aux très anciennes traditions religieuses et arriérées. Tout juif venant d’Ukraine confirmera le climat antisémite dans les campagnes et même ailleurs. Sauf que pour Makhno c’est faux et la « Makhnovchtchina »a, à plusieurs reprises, condamné et fusillé les manifestations d’antisémitisme sans pour autant perdre sa popularité chez les paysans. On sait aussi qu’il s’est engagé nettement contre Simon Petlioura dont les campagnes antisémites sont notoires.
La Makhnovchtchina fut un mouvement révolutionnaire autonome de paysans largement influencé par les anarchistes dont le plus célèbre est Makhno. Ils ont constitué des entreprises agricoles sur les terres récupérées des Koulaks et pour certaines des entreprises autogérées. Mais leurs appréciations de la situation de l’encerclement de l’URSS étaient faibles et n’entraient pas en considération alors que c’était un des points majeurs des préoccupations de la direction du parti Bolchevik. Il faut dire aussi que les méthodes brutales de la Tcheka ne les aidaient pas.
C’est où, c’est quoi, c’est quand, c’est qui ?
L’Ukraine est alors un pays très différent des autres provinces russes. C’est un pays agricole riche, suscitant la convoitise de ses voisins. Il est marqué par un fort esprit d’indépendance vis-à-vis de ses voisins qui l’ont occupé pendant des siècles (les Polonais et les Russes). Esprit d’indépendance allant parfois jusqu’à un nationalisme exacerbé avec une tradition de « Volnitza » (vie libre) qui freina l’implantation des différents partis politiques.
Avec l’abdication du tsar en mars 1917, et alors que Kérensky prenait la tête du gouvernement provisoire en Grande-Russie, on avait vu s’établir en Ukraine un pouvoir parallèle dirigé par la petite bourgeoisie nationaliste, désireuse de recréer un État indépendant.
Ce mouvement, animé par Vinitcheuko et Petlioura, s’établit surtout dans le nord du pays, alors que dans le sud les masses paysannes, sous l’influence des groupes anarchistes, s’en détachaient pour former un courant révolutionnaire qui, en décembre 1917 et janvier 1918, expulsa les gros propriétaires et commença à organiser lui-même le partage et la mise en valeur des terres.
Mais tout fut remis en question lorsque, le 3 mars 1918, les Bolcheviks signèrent le traité de Brest-Litovsk qui permettait aux armées austro-allemandes d’entrer en Ukraine.
Celles-ci rétablirent aussitôt les nobles et les propriétaires fonciers dans leurs privilèges afin de s’assurer la neutralité de la région. La nomination du commandant en chef des armées à la tête de la Rada centrale (Parlement) marqua un véritable retour au tsarisme. Les propriétaires chassés peu de temps auparavant se hâtèrent, par esprit de vengeance, de resserrer leur étreinte sur les paysans, qui subissaient par ailleurs le brigandage des troupes d’occupation.
Devant cette répression impitoyable, le pays se dresse dans un mouvement insurrectionnel des paysans et des ouvriers et va se déclarer pour la « révolution intégrale » sans que le programme en soit très défini. On assiste à une organisation de corps de francs-tireurs par les paysans eux-mêmes. C’est l’Armée révolutionnaire insurrectionnelle ukrainienne dite « Makhnovchtchina« .
Mais les représailles de la Rada ukrainienne, appuyée par les troupes austro-allemandes, vont être sanglantes (juin-juillet-août 1918). La nécessité d’une certaine unification face à la répression se faisant sentir, ce sera le groupe anarchiste de Goulaï-Polé qui en prendra l’initiative.
Le mouvement prend alors un caractère différent : il se débarrasse aussitôt de tous les éléments non travailleurs et des préjugés nationaux, religieux ou politiques. Non seulement il lutte contre la réaction, mais il s’engage dans une voie anti-autoritaire très influencée par les groupes anarchistes et en premier lieu celui de Gouliaï-Polié, duquel va se détacher un animateur de premier ordre Nestor Ivanovitch Makhno.
Makhno est né le 27 octobre 1889 à Gouliaï-Polié dans le Sud de l’Ukraine d’une famille de paysans pauvres. Au lendemain de la révolution manquée de 1905, il intègre un groupe anarcho communiste. Il est condamné à mort en 1910 pour avoir fomenté un attentat contre le poste de police. (Sa peine est commuée en travaux forcés à perpétuité). Durant son incarcération il s’instruit et perfectionne sa formation politique. La révolution de 1917 lui rend la liberté.
De retour à Gouliaï-Polié Makhno fonde une Union paysanne et procède à l’expropriation des grands domaines agricoles et des usines, dans la région qu’il contrôlait, établissant des communes rurales autonomes. Chaque commune était dotée d’une superficie de terre correspondant à ce que ses membres pouvaient cultiver.
Le traité de Brest-Litovsk signé entre l’URSS et l’Allemagne laissait l’Ukraine aux Austro-Hongrois puis, après la chute de « l’entente », aux mains des nationalistes ukrainiens alliés avec les blancs (Denikine), les forces anglaises et les Polonais qui luttaient contre l’armée rouge.
De 1918 à 1921 l’Union paysanne lutta d’abord contre les Allemands (après la signature du traité de Brest-Litovsk), puis contre les blancs de Denikine et leurs alliés anglais après la défaite de l’entente en alliance avec l’armée rouge.
Des combats incessants vont avoir lieu pendant des années au rythme des flux et reflux des divers combattants : troupes d’occupation austro-allemandes, bandes de l’Hetman Skoropadsky, armées blanches de Denikine puis celles de Wrangel, s’emparant des villes, les reperdant, multipliant les massacres, les pogroms, les pillages.
Personnage hors du commun, très controversé, vénéré comme une icône par les anarchistes du monde entier, mais quasiment ignoré de l’Histoire officielle, il reste très difficile à cerner en raison du manque de sources écrites directes et fiables, le concernant. On ne dispose pratiquement que des livres émanant des deux seuls intellectuels de ce mouvement : celui de Pierre Archinov et surtout celui de Voline, La révolution oubliée. Makhno lui-même a entrepris, à Paris, la rédaction de ses mémoires, mais il est mort en 1934 avant d’avoir pu aller au-delà du récit de ses années de jeunesse. Il a, toutefois, laissé un certain nombre d’articles parus dans une revue libertaire publiée à Paris en langue russe.
L’Ukraine et la Russie : une relation coloniale et économique.
La question de l’indépendance de l’Ukraine par rapport à la Russie fut vite un problème. Les bolcheviks ne voulaient pas se séparer de leur grenier à blé et la guerre civile posait durement la question du ravitaillement.
Les éléments d’intervention de l’Armée rouge se livreront dans le pays à de brutales répressions. La Tcheka fit régner un tel régime de terreur chez les paysans ukrainiens que le gouvernement soviétique dut se résoudre à constituer une commission, spécialement chargée d’enquêter sur les agissements en Ukraine de cet organisme policier, sinistre instrument de la terreur rouge qui souvent ne respectait pas les règles fixées par les bolcheviks eux même.
En 1918, le pouvoir bolchevique se sentant assez fort supprime les opposants libertaires puis les socialistes révolutionnaires. Makhno venu s’informer à Moscou (voir le compte rendu qu’il donne de sa rencontre avec Sverdlov et Lénine) de la conduite à tenir dans sa province n’eut pas de réponse satisfaisante. Il résolut donc de mettre en pratique sa propre solution : la guerre des paysans. Si le mouvement Makhnoviste ne pouvait espérer aucun secours du gouvernement de Moscou, en revanche il était en droit de compter sur une aide de la part des groupes anarchistes des villes.
Makhno avait conscience de la difficulté de mettre en place une armée insurrectionnelle. Il savait que l’organisation d’une armée, avec ce que cela entraîne comme structures militaires, constituait un phénomène sans précédent et paradoxal dans la conception et l’application des idées anarchistes. Certes, cette armée avait fonctionné à partir des principes de démocratie directe : volontariat, élection et révocation par la base des responsables et commandants à tous niveaux, autonomie des détachements et des régiments, enfin symbiose totale avec la population laborieuse dont cette armée était l’émanation. Cependant il y avait un État-major central, où Makhno avait joué un rôle primordial, et un noyau dur et dynamique du mouvement, tant politiquement que militairement, composé par des anarchistes et surtout par les membres du groupe communiste libertaire de Gouliaï-Polié et qui formait une avant-garde. Makhno concevait cette avant-garde au sens littéral du terme, à savoir que ses membres devaient se trouver aux avant-postes de la lutte et donner l’exemple.
L’avant-garde des insurgés makhnovistes avait pris l’initiative de la lutte armée et de la détermination de ses objectifs ; les instances suprêmes de la population ayant été représentées par les soviets libres, leurs assemblées et congrès. Cette avant-garde-là était donc placée au cœur même de la masse et non au-dedans ou au-dessus. La différence est de taille.
Durant ses années d’exilés Makhno revint sur le rôle de l’organisation. Il en tira comme conclusion qu’une des grandes raisons de l’échec du mouvement de la Makhnovchtchina était que celle-ci n’avait pas su mettre en place une grande organisation spécifique, capable d’opposer ses forces vives aux ennemis de la révolution. Il conçoit donc un mode organisationnel qui puisse accomplir les tâches de l’anarchisme, non seulement lors de la préparation de la révolution sociale, mais également à ses lendemains. Et il conclut que l’anarchisme ne peut plus rester enfermé dans les limites étriquées d’une pensée marginale et revendiqué uniquement par quelques groupuscules aux actions isolées. L’anarchie doit se munir de moyens nouveaux et emprunter la voie de pratiques sociales. Cette réflexion aura une influence sur les libertaires espagnols de Catalogne et d’Aragon.
Malheureusement, les préjugés anti organisationnels, profondément ancrés dans les milieux libertaires, ne permirent pas à la Makhnovchtchina de sortir de son isolement. Comment faire admettre aux intellectuels et théoriciens anarchistes que la guerre, avec la stricte organisation qu’elle implique, pouvait passer pour un moyen d’action compatible avec les finalités de l’anarchie ?
Makhno pratiqua une guérilla terriblement efficace avec son armée de plus de 20 000 hommes, équipée en partie grâce à des armes prises à l’ennemi contre les armées blanches de Denikine et Wrangel. Malgré cela, l’implantation d’une société paysanne libertaire dans la région contrôlée par Makhno, de même que l’autonomie des makhnovistes, portait trop ombrage à un pouvoir central de plus en plus jaloux de ses prérogatives pour être tolérées plus longtemps.
Un conflit sanglant ne tarda pas à éclater entre les partisans de Makhno et l’Armée rouge. Après la prise de Gouliaï-Polié par les rouges, Makhno s’enfuit avec une poignée de cavaliers. Traqué, malade, blessé il parvint pourtant à échapper à ses poursuivants. Il trouve exil en France ou il mourut en 1934. L’aventure de la Makhnovchtchina subit les condamnations des propagandistes et des historiens soviétiques. L’image de l’anarchiste ukrainien est singulièrement floue. D’autant plus que la Makhnovchtchina, née de la Révolution et de la guerre civile, tient à la fois de la guerre d’indépendance et du mouvement libertaire, deux types d’action difficiles à concilier. Ce qui est sûr, c’est que Makhno, chef de guerre, fut tout autant un anarchiste authentique, conscient de l’importance primordiale de la liberté sociale. À la manière de ce qui se produira plus tard dans l’Espagne de la guerre civile, Makhno réussi à installer en Ukraine un embryon de société rurale libertaire.
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Nestor Ivanovith Makhno, né le 27 Octobre 1889 à Gouliaï-Polié dans le Sud de l'Ukraine est le cinquième fils d'une famille de paysans pauvres.
Au lendemain de la révolution manquée de 1905, il intègre le groupe anarcho-communiste de Gouliaï-Polié. Arrêté plusieurs fois, emprisonné et torturé, il est condamné à mort en 1910 pour avoir fomenté un attentat contre un poste de police. Sa peine est commuée en travaux forcés à perpétuité. Durant son incarcération il s'instruit et perfectionne sa formation politique. La révolution de 1917 lui permet de retrouver la liberté.
De retour à Gouliaï-Polié, il fonde une "Union paysanne" et procède à l'expropriation des grands domaines agricoles et des usines, dans la région qu'il contrôle, établissant des communes rurales autonomes.
Chaque commune était dotée d'une superficie de terre correspondant à ce que ses membres pouvaient cultiver. Le gouvernement provisoire d'Ukraine ne pouvait s'opposer à la mise en œuvre des principes de l'anarchie dans cette province.
La question de l'indépendance de l'Ukraine par rapport à la Russie fut vite un problème. Les nouveaux maîtres de Russie ne voulaient pas se séparer de leur grenier à blé.
Dans ces conditions, des combats incessants vont avoir lieu pendant des années au rythme des flux et reflux des divers combattants : troupes d'occupation austro-allemandes, bandes de l'Hetman Skoropadsky, armées blanches de Denikin puis celles de Wrangel, s'emparant des villes, les perdant, multipliant les massacres, les pogroms, les pillages.
Les éléments d'intervention de l'Armée rouge se livreront dans le pays à de brutales répressions. La Tchéka fit régner un tel régime de terreur chez les paysans ukrainiens que le gouvernement soviétique dut se résoudre à constituer une commission, spécialement chargée d'enquêter sur les agissements en Ukraine de cet organisme policier, sinistre instrument de la terreur rouge.
En 1918, le pouvoir bolchévique se sentant assez fort supprime les opposants libertaires puis les socialistes révolutionnaires. Makhno, venu s'informer à Moscou de la conduite à tenir dans sa province n'eut pas de réponse satisfaisante. Il résolut donc de mettre en pratique sa propre solution : la guerre des paysans.
Si le mouvement Makhnoviste ne pouvait espérer aucun secours en provenance des partis étatiques, en revanche il était en droit de compter sur une aide de la part des groupes anarchistes urbains. Malheureusement, les préjugés anti-organisationnels, profondément ancrés dans les milieux libertaires, ne permirent pas à la makhnovchtchina de sortir de son isolement.
Comment faire admettre aux intellectuels et théoriciens anarchistes que la guerre, avec la stricte organisation qu'elle implique, pouvait passer pour un moyen d'action compatible avec les finalités de l'anarchie ?
Makhno pratiqua une guérilla terriblement efficace avec son armée de 20.000 hommes équipée en partie grâce à des armes prises à l'ennemi.
Makhno contribua efficacement à la lutte contre les armées blanches de Denikine et Wrangel.
Malgré cela, l'implantation d'une société paysanne libertaire dans la région contrôlée par Makhno, de même que l'autonomie des makhnovistes, portaient trop ombrage à un pouvoir central bolchevique, de plus en plus jaloux de ses prérogatives, pour tolérer plus longtemps de telles "dérives".
Un conflit sanglant ne tarda pas à éclater entre les partisans de Makhno et l'Armée rouge. Après la prise de Gouliaï-Polié par les rouges, Makhno s'enfuit avec une poignée de cavaliers. Traqué, malade, blessé il parvint pourtant à échapper à ses poursuivants. Il trouva exil en France ou il mourut en 1934.
L'aventure de la Makhnovchtchina subit les condamnations des propagandistes et des historiens soviétiques.
L'image de l'anarchiste ukrainien est singulièrement floue. D'autant plus que la Makhnovchtchina, née de la Révolution et de la guerre civile, tient à la fois de la guerre d'indépendance et du mouvement libertaire, deux types d'action difficiles à concilier. Ce qui est sûr, c'est que Makhno, chef de guerre, fut tout autant un anarchiste authentique, conscient de l'importance primordiale de la liberté sociale. A la manière de ce qui se produira plus tard dans l'Espagne de la guerre civile, Makhno réussit à installer en Ukraine un embryon de société rurale libertaire.
En plus des conditions historiques et d'un rapport de forces nettement défavorables à l'insurrection ukrainienne, le conflit du bolchevisme et du makhnovisme a illustré le caractère absolument inconciliable de deux conceptions de la révolution. Le point de vue marxiste d'un côté, axé sur le prolétariat ouvrier, conçu comme classe universelle révolutionnaire, et de l'autre, un "anarcho-populisme" paysan. C'est la politique qui a vaincu Makhno et ses paysans anarchistes. Les sociétés agricoles libertaires d'Espagne succomberont un jour elles aussi, pour les mêmes raisons, et sous les coups des mêmes adversaires.
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A cause de son caractère rebelle et de son insoumission permanente, il passa le plus clair de son temps en prison. Il va en profiter pour s’instruire. Il y rencontrera Kropotkine dont on dit qu’il aurait complété sa formation politique mais également un autre anarchiste, Pierre Archinov dont il deviendra l’ami. Il va aussi, au cours de ces neuf années d’emprisonnement, faire souvent du cachot pour désobéissance et y contracter une tuberculose dont il ne guérira jamais et qui finira par l’emporter. Libéré à la faveur de la Révolution d’Octobre, il retourne dans sa région natale de Goulaï-Polié. Et profitant de la très faible implantation des bolcheviks en Ukraine, il va entreprendre d’y faire la révolution à sa manière, celle des anarchistes.
C’est une affaire très compliquée. Quatre ou cinq forces se trouveront en présence, tantôt alliées, tantôt ennemies : les ultra-réactionnaires du parti « agrarien » dirigés par l’hetman (chef cosaque) Skoropadsky mis en place par les Austro-Allemands dans la foulée de la paix de Brest-Litovsk signée par le nouveau gouvernement soviétique en 1918 (qui leur abandonnait de fait l’Ukraine), les nationalistes de Simon Petlioura, les anarchistes de Nestor Makhno, les armées contre-révolutionnaires dites « blanches » commandées par les généraux Denikine puis Wrangel et enfin, l’Armée Rouge sous les ordres de Trotsky. Makhno va d’abord s’allier à Petlioura contre Skoropadsky. Puis une fois les Austro-Allemands et les « agrariens » chassés du pouvoir par la défaite de l’Axe, il va s’affronter à Simon Petlioura, ce nationaliste grand massacreur de juifs et le défaire. Devant l’avancée des troupes de Denikine il va conclure des alliances tactiques avec les bolcheviks contre les armées blanches. En réalité les bolcheviks considéraient les anarchistes comme leurs ennemis les plus dangereux. Ils vont d’abord les utiliser puis les massacrer. [2]
Pourtant, au prix de lourdes pertes et profitant du fait que les étangs étaient cet hiver-là exceptionnellement gelés, la cavalerie anarchiste parvint à passer. Et dès lors, ce qui protégeait les blancs devint un piège mortel pour eux. Wrangel, par une manœuvre audacieuse, réussit toutefois à faire évacuer les restes de son armée par la mer avec l’aide des alliés et, notamment de la France. Lorsque les anarchistes victorieux mais épuisés par les combats très durs qu’ils venaient de livrer voulurent rentrer chez, au sortir du détroit de Perekop ils trouvèrent l’Armée Rouge qui les attendait, se jeta sur eux et les massacra impitoyablement et systématiquement.
Il y a un problème avec ce Petlioura, car malgré les épouvantables pogroms dont il a été l’auteur, l’Ukraine l’a réhabilité et le considère comme un héros national, au point que le Président de l’Ukraine Viktor Youchtchenko, au cours d’un voyage officiel en France, est venu se recueillir sur sa tombe au cimetière parisien de Montparnasse le 16 novembre 2005. (Photo)
https://le-cafe-anarchiste.info/anarchistes-revolution-russe/
30 juillet 2017 café anarchiste
La révolution russe de 1917 a vu un énorme développement de l’anarchisme dans ce pays et de nombreuses expériences des idées anarchistes. Cependant, dans la culture populaire, la révolution russe n’est pas considérée comme un mouvement de masse faite par des gens ordinaires qui luttent pour la liberté, mais comme le moyen par lequel Lénine a imposé sa dictature à la Russie. La vérité est radicalement différente. La Révolution russe était un mouvement de masse dans lequel existaient de nombreux courants d’idées et dans lesquels des millions de travailleurs (ouvriers dans les villages et les villes ainsi que les paysans) ont essayé de transformer leur monde en un endroit meilleur. Malheureusement, ces espoirs et ces rêves ont été écrasés sous la dictature du parti bolchevik – d’abord sous Lénine, puis sous Staline.
La révolution russe, comme la plupart de l’histoire, est un bon exemple de la maxime «l’histoire est écrite par les vainqueurs». La plupart des histoires capitalistes de la période entre 1917 et 1921 ignorent ce que l’anarchiste Voline appelait «la révolution inconnue» – la révolution lancée d’en bas par les actions des gens ordinaires. Les léninistes, au mieux, louent cette activité autonome des travailleurs tant qu’elle coïncide avec leur propre ligne de parti mais la condamne radicalement (et l’attribue avec les motifs les plus bas) dès qu’elle s’éloigne de cette ligne. Ainsi, les récits léninistes louent les ouvriers quand ils avancent devant les bolcheviks (comme au printemps et à l’été de 1917), mais les condamneront quand ils s’opposeront à la politique bolchévique une fois que les bolcheviks seront au pouvoir. Au pire, les récits léninistes décrivent le mouvement et les luttes des masses comme pas plus qu’une toile de fond pour les activités du parti d’avant-garde.
Pour les anarchistes, cependant, la révolution russe est considérée comme un exemple classique d’une révolution sociale dans laquelle l’auto-activité des travailleurs a joué un rôle clé. Dans leurs soviets, comités d’usine et autres organisations de classe, les masses russes essayaient de transformer la société d’un régime étatique hiérarchisé en un modèle fondé sur la liberté, l’égalité et la solidarité. Ainsi, les premiers mois de la Révolution semblent confirmer la prédiction de Bakounine selon laquelle “l’organisation sociale future doit se faire uniquement du bas vers le haut, par les associations libres ou les fédérations de travailleurs, d’abord dans leurs syndicats, puis dans les communes, Nations et enfin dans une grande fédération, internationale et universelle.” [Michel Bakounine: Écrits choisis, p. 206] Les soviets et les comités d’usine ont exprimé concrètement les idées de Bakounine et les anarchistes ont joué un rôle important dans la lutte.
Le renversement initial du tsar provient de l’action directe des masses. En février 1917, avec les femmes de Pétrograd éclatèrent les émeutes du pain. Le 18 février, les ouvriers des Usines Putilov à Pétrograd se mirent en grève. Le 22 février, la grève s’était étendue à d’autres usines. Deux jours plus tard, 200 000 travailleurs étaient en grève et le 25 février, la grève était quasi générale. Le même jour a également vu les premiers affrontements sanglants entre les manifestants et l’armée. Le tournant est venu le 27, quand quelques troupes sont allées vers les masses révolutionnaires, en balayant le long d’autres unités. Cela a laissé le gouvernement sans ses moyens de coercition, le Tsar a abdiqué et un gouvernement provisoire a été formé.
Ce mouvement a été si spontané que tous les partis politiques ont été laissés pour compte. Les bolcheviks, avec «l’organisation des bolcheviks de Pétrograd, s’opposaient à l’appel de la grève précisément à la veille de la révolution destinée à renverser le tsar. Heureusement, les ouvriers ignorèrent les «directives» bolchéviques et se mirent en grève. Si les ouvriers avaient suivi ses directives, il est douteux que la révolution ait eu lieu quand elle l’a fait.” [Murray Bookchin, Anarchisme de la post-rareté, p. 123]
La révolution a continué dans cette dynamique d’action directe d’en bas jusqu’à ce que le nouvel État «socialiste» soit assez puissant pour le stopper.
Pour la gauche, la fin du tsarisme a été le point culminant d’années d’efforts des socialistes et des anarchistes partout. Il représentait l’aile progressiste de la pensée humaine qui surmontait l’oppression traditionnelle, et comme tel a été dûment salué par les gauchistes du monde entier. Cependant, en Russie, les choses progressaient. Dans les lieux de travail, dans les rues et sur les terres, de plus en plus de gens sont convaincus que l’abolition de la féodalité sur le plan politique ne suffit pas. Le renversement du tsar ne faisait guère de différence si l’exploitation féodale existait toujours dans l’économie, alors les ouvriers commencèrent à s’emparer de leurs lieux de travail et les paysans leurs terres. Partout en Russie, les gens ordinaires ont commencé à construire leurs propres organisations, syndicats, coopératives, comités d’usine et conseils (ou «soviets» en russe). Ces organisations étaient initialement organisées de manière anarchiste, avec des délégués révocables et fédérées les uns avec les autres.
Inutile de dire que tous les partis et organisations politiques ont joué un rôle dans ce processus. Les deux ailes des social-démocrates marxistes étaient actives (les mencheviks et les bolcheviks), tout comme les socialistes-révolutionnaires (un parti paysan populiste) et les anarchistes. Les anarchistes ont participé à ce mouvement, encourageant toutes les tendances à l’autogestion et demandant le renversement du gouvernement provisoire. Ils ont soutenu qu’il était nécessaire de transformer la révolution d’une forme purement politique en économique / sociale. Jusqu’au retour de Lénine de l’exil, ils étaient la seule tendance politique qui pensait de cette façon.
Lénine a convaincu son parti d’adopter le slogan «Tout le pouvoir aux Soviets» et de faire avancer la révolution. Cela signifiait une rupture brutale avec les positions marxistes antérieures, conduisant un ex-bolchevik menchévik à faire remarquer que Lénine avait “fait lui-même un candidat pour un trône européen qui a été vacant depuis trente ans – le trône de Bakounine!” [Cité par Alexander Rabinowitch, Prélude à la Révolution, p. 40] Les bolcheviks se tournent désormais à gagner le soutien de la masse, défendent l’action directe et soutiennent les actions radicales des masses, les politiques anciennement associées à l’anarchisme ( «les bolcheviks ont lancé … des slogans jusque là particulièrement et avec insistance exprimés par Les anarchistes. »[Voline, La révolution inconnue, p.210]). Bientôt, ils gagnaient de plus en plus de votes lors des élections du soviet et de l’usine. Comme le soutient Alexandre Berkman, les «slogans anarchistes proclamés par les bolcheviks n’ont pas manqué d’apporter des résultats: les masses se sont appuyées sur leur drapeau». [Qu’est-ce que l’anarchisme ?, p. 120]
Les anarchistes ont également été influents à cette époque. Les anarchistes étaient particulièrement actifs dans le mouvement pour l’autogestion des travailleurs de la production qui existait autour des comités d’usine (voir M. Brinton, The Bolsheviks and Workers Control pour plus de détails). Ils plaidaient pour que les travailleurs et les paysans expropriassent la classe propriétaire, abolissent toutes les formes de gouvernement et réorganisent la société de bas en haut en utilisant leurs propres organisations de classe – les soviets, les comités d’usine, les coopératives et ainsi de suite. Ils pourraient également influencer la direction de la lutte. Comme le remarque Alexander Rabinowitch (dans son étude du soulèvement de juillet 1917):
“Au niveau de la base, en particulier dans la garnison de Pétrograd et à la base navale de Kronstadt, il y avait en fait très peu de distinction entre bolchevik et anarchiste … Les communistes anarchistes et les bolcheviks se disputaient le soutien des mêmes éléments non éduqués, déprimés et insatisfaits de la population, et le fait est qu’au cours de l’été 1917, les communistes anarchistes, avec le soutien dont ils jouissaient dans quelques importantes usines et régiments, possédaient une capacité indéniable à influencer le cours des choses. En effet, l’appel anarchiste était assez grand dans certaines usines et unités militaires pour influencer les actions des bolcheviks eux-mêmes.” [Op. Cit., P. 64]
En effet, un bolchevik de premier plan a déclaré en juin 1917 (en réponse à une montée de l’influence anarchiste), «en nous isolant des anarchistes, nous risquons de nous isoler des masses». [Cité par Alexander Rabinowitch, op. Cit., P. 102]
Les anarchistes ont fonctionnés aux côtés des bolcheviks pendant la Révolution d’Octobre qui a renversé le gouvernement provisoire. Mais les choses ont changé une fois que les socialistes autoritaires du parti bolchevik se sont emparés du pouvoir. Alors que les anarchistes et les bolcheviks utilisaient plusieurs des mêmes slogans, il y avait des différences importantes entre les deux. Comme le disait Voline: «Les slogans étaient sincères et concrets dans les lèvres et les plumes des anarchistes, car ils correspondaient à leurs principes et appelaient à une action tout à fait conforme à de tels principes … Mais, avec les bolcheviks, les mêmes slogans signifiaient des solutions pratiques totalement différentes de celles des libertaires et ne s’accordaient pas avec les idées que les slogans semblaient exprimer.” [La révolution inconnue, p. 210]
Prenons, par exemple, le slogan «Tout le pouvoir aux Soviets». Pour les anarchistes, cela signifie – des organes pour que la classe ouvrière puisse organiser directement la société, sur la base de délégués mandatés et révocables. Pour les bolcheviks, ce slogan était simplement le moyen de former un gouvernement bolchevik au-dessus des soviets. La différence est importante, “pour les anarchistes déclarés, si le « pouvoir » appartenait réellement aux soviets, il ne pouvait appartenir au parti bolchevik et, s’il appartenait à ce parti, comme le pensaient les bolcheviks, il ne pouvait appartenir aux Soviéts.” [Voline, Op. Cit., P. 213] Réduire les soviets à exécuter simplement les décrets du gouvernement central (bolchevique) et faire en sorte que leur Congrès pan-Russe puisse rappeler le gouvernement (c’est-à-dire ceux qui ont le pouvoir réél) n’équivaut pas à «tout le pouvoir».
De même, le terme «contrôle ouvrier de la production». Avant la Révolution d’Octobre, Lénine considérait le «contrôle ouvrier» uniquement en termes de «contrôle universel des ouvriers sur les capitalistes». [Les bolcheviks maintiendront-ils le pouvoir ?, p. 52]. Il ne le voyait pas en termes de gestion par les travailleurs de la production elle-même (c’est-à-dire l’abolition du travail salarié) via des fédérations de comités d’usine. Les anarchistes et les comités d’usine des ouvriers l’ont fait. Comme le souligne S.A. Smith, Lénine a utilisé «le terme« contrôle des travailleurs »dans un sens très différent de celui des comités d’usine. En fait, les «propositions» de Lénine [étaient] totalement étatistes et centralistes, alors que la pratique des comités d’usine était essentiellement locale et autonome ». [Pétrograd rouge, p. 154] Pour les anarchistes, «si les organisations ouvrières étaient capables d’exercer un contrôle effectif sur leurs patrons, elles étaient également en mesure de garantir toute la production. Dans ce cas, l’industrie privée pourrait être éliminée rapidement mais progressivement et remplacée par des industries collectives. En conséquence, les anarchistes ont rejeté le slogan vague et nébuleux du «contrôle de la production». Ils préconisaient l’expropriation – progressive, mais immédiate – de l’industrie privée par les organisations de production collective.” [Voline, Op. Cit., P. 221]
Une fois au pouvoir, les bolcheviks ont systématiquement détournés le sens populaire du contrôle ouvrier et l’ont remplacé par leur propre conception étatiste. «À trois reprises, rappelle un historien, dans les premiers mois du pouvoir soviétique, les dirigeants du comité [d’usine] ont cherché à mettre en place leur modèle. Pouvoirs de contrôle dans les organes de l’Etat qui étaient subordonnés aux autorités centrales, et formés par eux. ” [Thomas F. Remington, Construire le socialisme dans la Russie bolchevique, p. 38] Ce processus a finalement conduit Lenine à défendre et à introduire «une gestion d’un homme» armée du pouvoir «dictatorial» (avec le gestionnaire nommé par l’État au-dessus) en avril 1918. Ce processus est documenté dans “Les Bolsheviks Et le contrôle ouvrier” de Maurice Brinton , qui indique également les liens clairs entre la pratique bolchevique et l’idéologie bolchevique, ainsi que la façon dont les deux diffèrent de l’activité et des idées populaires.
D’où les commentaires de l’anarchiste russe Pierre Archinov:
Une autre particularité non moins importante est que la révolution de 1917 a deux significations – celle des masses ouvrières qui ont participé à la révolution sociale l’ont donné, et avec eux les communistes anarchistes, et celle qui a été donné Par le parti politique [marxiste-communiste] qui a capturé le pouvoir de cette aspiration à la révolution sociale, et qui a trahi et étouffé tout développement ultérieur. Il existe un énorme fossé entre ces deux interprétations d’octobre. Le mois d’octobre des ouvriers et des paysans est la suppression du pouvoir des classes parasites au nom de l’égalité et de l’autogestion. L’Octobre bolchevique est la conquête du pouvoir par le parti de l’intelligentsia révolutionnaire, l’installation de son «socialisme d’Etat» et de ses méthodes «socialistes» de gouvernement des masses.”[The Two Octobers]
Au début, les anarchistes avaient soutenu les bolcheviks, puisque les dirigeants bolcheviks cachaient leur idéologie Étatique derrière le soutien aux soviets (comme l’historien socialiste Samuel Farber l’a noté, les anarchistes avaient été en réalité un partenaire inconnu des bolcheviks lors de la Révolution d’Octobre. “[Avant le stalinisme, page 126]). Cependant, cet appui a rapidement «disparu» car les bolcheviks ont montré qu’ils n’avaient en fait pas cherché le vrai socialisme, mais qu’ils se sont plutôt procurés le pouvoir pour eux-mêmes et non pour la propriété collective des terres et des ressources productives, Les bolchéviks, comme on l’a noté, ont systématiquement miné le contrôle / autogestion du mouvement ouvrier en faveur de formes capitalistes de gestion des lieux de travail basées sur la «gestion d’un seul homme» armée de «pouvoirs dictatoriaux».
En ce qui concerne les soviets, les bolcheviks ont systématiquement sapés et limités l’indépendance et la démocratie dont ils [ndt : soviets] disposaient. En réponse aux «grosses pertes bolcheviques aux élections soviétiques» au printemps et à l’été 1918, «les forces armées bolcheviques renversaient généralement les résultats de ces élections provinciales». En outre, “le gouvernement a continuellement repoussé les nouvelles élections générales au Soviet de Petrograd, dont le terme avait pris fin en mars 1918. Apparemment, le gouvernement craignait que les partis de l’opposition fassent des progrès.” [Samuel Farber, op. Cit., P. 24 et p. 22] Aux élections de Pétrograd, les bolcheviks «perdirent la majorité absolue dans le soviet dont ils avaient joui auparavant», mais restèrent le plus grand parti. Cependant, les résultats des élections soviétiques de Pétrograd n’étaient pas pertinents car «la victoire bolchevique était assurée par la représentation numériquement significative maintenant donnée aux syndicats, aux soviets de district, aux comités d’usine, aux conférences des travailleurs du district et aux unités navales et de l’Armée rouge, dans lesquelles les bolcheviks avaient une force écrasante”. [Alexander Rabinowitch, «L’évolution des soviets locaux à Pétrograd», pp. 20-37, Slavic Review, vol. 36, N ° 1, p36f]. En d’autres termes, les bolcheviks avaient sapé la nature démocratique du soviet en l’écrasant par leurs propres délégués. Face au rejet dans les soviets, les bolcheviks ont montré que pour eux «le pouvoir soviétique» égalait le pouvoir du parti. Pour rester au pouvoir, les bolcheviks devaient détruire les soviets, ce qu’ils faisaient. Le système soviétique restait «soviétique» uniquement de nom. En effet, à partir de 1919, Lénine, Trotsky et d’autres grands bolcheviks admettaient qu’ils avaient créé une dictature du parti et, en outre, qu’une telle dictature était indispensable à toute révolution (Trotsky soutenait la dictature du parti même après la montée du stalinisme).
De plus, l’Armée rouge n’était plus une organisation démocratique. En mars 1918, Trotsky avait supprimé l’élection des officiers et des comités de soldats:
«Le principe de l’élection est politiquement inutile et techniquement inexpérimenté, et il a été, en pratique, aboli par décret». [Travail, Discipline, Ordre]
Comme Maurice Brinton le résume :
“Trotsky, nommé Commissaire des Affaires Militaires après Brest-Litovsk, avait rapidement réorganisé l’Armée Rouge. La peine de mort pour désobéissance sous le feu avait été rétabli. Ainsi, plus graduellement, ils ont eu des formes de salut, des adresses spéciales, des locaux d’habitation séparés et des Privilèges pour les officiers. Les formes démocratiques d’organisation, y compris l’élection des officiers, ont été rapidement supprimées.” [«Les bolcheviks et le contrôle ouvrier», Pour la puissance ouvrière, p. 336-7]
Samuel Farber note que «il n’y a aucune preuve indiquant que Lénine ou l’un des principaux dirigeants bolcheviks ont déploré la perte du contrôle ouvrier ou de la démocratie dans les soviets, ou du moins se sont référés à ces pertes comme une retraite, Le remplacement du communisme de guerre par la NEP en 1921.” [Avant le stalinisme, p. 44]
Ainsi, après la Révolution d’Octobre, les anarchistes ont commencé à dénoncer le régime bolchevique et à appeler à une “Troisième Révolution” qui libérerait enfin les masses de tous les patrons (capitalistes ou socialistes). Ils ont exposé la différence fondamentale entre la rhétorique du bolchevisme (exprimée, par exemple, dans l’État et la Révolution de Lénine) et sa réalité. Le bolchevisme au pouvoir avait prouvé la prédiction de Bakounine que la «dictature du prolétariat» deviendrait la «dictature sur le prolétariat» par les dirigeants du Parti communiste.
L’influence des anarchistes a commencé à se développer. Comme l’a noté Jacques Sadoul (un officier français) au début de 1918:
«Le mouvement anarchiste est le plus actif, le plus militant des groupes d’opposition et probablement le plus populaire… Les bolcheviks sont anxieux». [Cité par Daniel Guerin, Anarchism, pp. 95-6]
En avril 1918, les bolcheviks commencèrent la suppression physique de leurs rivaux anarchistes. Le 12 avril 1918, la Cheka (la police secrète formée par Lénine en décembre 1917) attaqua les centres anarchistes de Moscou. Ceux d’autres villes ont été attaqués peu de temps après. En plus de réprimer leurs adversaires les plus audacieux de gauche, les bolcheviks limitaient la liberté des masses qu’ils prétendaient protéger. Les soviets démocratiques, la liberté d’expression, les partis et groupes politiques de l’opposition, l’autogestion sur le lieu de travail et sur la terre – tous ont été détruits au nom du «socialisme». Tout cela est arrivé, nous devons le souligner, avant le début de la guerre civile à la fin de mai 1918, que la plupart des partisans du léninisme blâment pour justifier l’autoritarisme des bolcheviks. Pendant la guerre civile, ce processus s’est accéléré, les bolcheviks ayant systématiquement réprimé l’opposition de tous côtés – y compris les grèves et les protestations de la classe même qui, disait-on, exerçait sa «dictature» alors qu’ils étaient au pouvoir!
Il est important de souligner que ce processus avait commencé bien avant le début de la guerre civile, confirmant la théorie anarchiste selon laquelle un «Etat ouvrier» est une contradiction dans les termes. Pour les anarchistes, la substitution bolchévique du pouvoir du parti au pouvoir ouvrier (et le conflit entre les deux) n’a pas été une surprise. L’Etat est la délégation du pouvoir – en tant que tel, cela signifie que l’idée d’un «Etat ouvrier» exprimant «le pouvoir ouvrier» est une impossibilité logique. Si les travailleurs gérent la société alors le pouvoir repose entre leurs mains. Si un état existe, alors le pouvoir repose entre les mains de la poignée de personnes au sommet, pas entre les mains de tous. L’Etat a été conçu pour la règle de la minorité. Aucun État ne peut être un organe de l’autogestion de la classe ouvrière (c’est-à-dire la majorité) en raison de sa nature, de sa structure et de sa conception de base. Pour cette raison, les anarchistes ont plaidé pour une fédération de bas en haut des conseils ouvriers en tant qu’agent de la révolution et les moyens de gérer la société après que le capitalisme et l’État aient été abolis.
Comme nous le voyons dans la section H, la dégénérescence des bolcheviks d’un parti populaire ouvrier en dictateurs sur la classe ouvrière ne s’est pas produite par hasard. Une combinaison d’idées politiques et de réalités du pouvoir d’État (et des rapports sociaux qu’il engendre) ne pouvait qu’être la cause d’une telle dégénérescence. Les idées politiques du bolchevisme, avec son avant-gardisme, la peur de la spontanéité et l’identification du pouvoir du parti avec le pouvoir de la classe ouvrière signifiaient inévitablement que le parti se heurterait à ceux qu’il prétendait représenter. Après tout, si le parti est l’avant-garde alors, automatiquement, tout le monde est un élément “arriéré”. Cela signifiait que si la classe ouvrière résistait aux politiques bolchevikes ou les rejetait aux élections soviétiques, alors la classe ouvrière était «vacillante» et était influencée par des éléments «petit-bourgeois» et «arriérés». L’avant-gardisme engendre l’élitisme et, lorsqu’il est combiné avec le pouvoir d’Etat, c’est la dictature.
Le pouvoir d’Etat, comme l’ont toujours souligné les anarchistes, signifie la délégation du pouvoir entre les mains de quelques-uns. Cela produit automatiquement une division de classe dans la société – ceux avec le pouvoir et ceux sans. Ainsi, une fois au pouvoir, les bolcheviks étaient isolés de la classe ouvrière. La Révolution russe a confirmé l’argument de Malatesta selon lequel un «gouvernement, un groupe de personnes chargées de faire des lois et habilitées à utiliser le pouvoir collectif pour obliger chaque individu à les obéir, est déjà une classe privilégiée et coupée du peuple. Un organisme constitué, il cherchera instinctivement à étendre ses pouvoirs, à dépasser le contrôle public, à imposer ses propres politiques et à donner la priorité à ses intérêts particuliers. Ayant été placé dans une position privilégiée, le gouvernement est déjà en désaccord avec les personnes dont il dispose de la force.” [Anarchie, p. 34] Un État hautement centralisé comme ce que les bolcheviks ont construits réduirait la responsabilité à un minimum tout en accélérant l’isolement des dirigeants des gouvernés. Les masses n’étaient plus une source d’inspiration et de pouvoir, mais plutôt un groupe étranger dont le manque de «discipline» (c’est-à-dire la capacité de suivre les ordres) mettait la révolution en danger. Comme l’a dit un anarchiste russe:
«Le prolétariat est peu à peu enserfed par l’état.Les gens sont transformés en serviteurs sur lesquels a surgi une nouvelle classe d’administrateurs – une nouvelle classe née principalement formé le ventre de la soi-disant intelligentsia … Nous ne Dire que le parti bolchévik s’est engagé à créer un nouveau système de classes, mais nous disons que même les meilleures intentions et les aspirations doivent inévitablement être brisées contre les maux inhérents à tout système de pouvoir centralisé. La division entre les administrateurs et les travailleurs s’écoule logiquement de la centralisation et ne peut en être autrement.” [Les Anarchistes dans la Révolution russe, pp. 123-4]
Pour cette raison, les anarchistes, tout en reconnaissant qu’il y a un développement inégal des idées politiques au sein de la classe ouvrière, rejettent l’idée que les «révolutionnaires» devraient prendre le pouvoir au nom des travailleurs. Ce n’est que lorsque les gens qui travaillent dirigent la société elle-même qu’une révolution réussira. Pour les anarchistes, cela signifiait que «l’émancipation effective ne peut être obtenue que par l’action directe, étendue et indépendante […] des ouvriers eux-mêmes, groupés … dans leurs propres organisations de classe … sur la base d’une pratique concrète De l’action et de l’autonomie, aidés mais non gouvernés, par des révolutionnaires travaillant au milieu de la société, et non au-dessus de la masse et des secteurs professionnels, techniques de défense et autres ». [Voline, Op. Cit., P. 197] En substituant le pouvoir du parti au pouvoir ouvrier, la Révolution russe avait fait son premier pas fatal. Il n’est pas étonnant que la prédiction suivante (de novembre 1917) faite par les anarchistes en Russie se réalise:
«Une fois leur pouvoir consolidé et« légalisé », les bolcheviks qui sont … des hommes d’action centraliste et autoritaire vont commencer à réorganiser la vie du pays et du peuple par des méthodes gouvernementales et dictatoriales imposées par le centre, ils … dicteront la volonté du parti à toute la Russie, et commanderont toute la nation. Vos Soviétiques et vos autres organisations locales deviendront peu à peu, simplement des organes exécutifs de la volonté du gouvernement central. Le sain et constructif travail fait par les masses laborieuses, au lieu d’une unification libre de fond, nous verrons l’installation d’un appareil autoritaire et Etatiste qui agira d’en haut et se mettra à effacer tout ce qui se trouvera sur son chemin avec une main de fer.” [Cité par Voline, op. Cit., P. 235]
Le soi-disant «Etat ouvrier» ne pouvait pas être participatif ni donner le pouvoir aux travailleurs (comme les marxistes le prétendaient) simplement parce que les structures étatiques ne sont pas conçues pour cela. Créés comme des instruments de domination minoritaire, ils ne peuvent pas être transformés en (ou «nouvellement» créés en) un moyen de libération pour les classes ouvrières. Comme le dit Kropotkine, les anarchistes «maintiennent que l’organisation d’État, ayant été la force à laquelle les minorités ont eu recours pour établir et organiser leur pouvoir sur les masses, ne peut pas être la force qui servira à détruire ces privilèges». [Anarchisme, p. 170] Selon les termes d’un pamphlet anarchiste écrit en 1918:
«Le bolchevisme, de jour en jour et pas à pas, prouve que le pouvoir d’État possède des caractéristiques inaliénables, qu’il peut changer son étiquette, sa« théorie »et ses serviteurs, mais en substance, il ne reste que puissance et despotisme sous de nouvelles formes.” [Cité par Paul Avrich, «Les anarchistes dans la révolution russe», p. 341-350, Russian Review, vol. 26, fascicule no. 4, p. 347]
Pour les initiés, la Révolution était morte quelques mois après que les Bolcheviks aient pris le pouvoir. Pour le monde extérieur, les bolcheviks et l’URSS sont venus représenter le «socialisme» alors qu’ils détruisaient systématiquement les bases du socialisme réel. En transformant les soviets en organes d’Etat, en substituant le pouvoir du parti au pouvoir soviétique, en sapant les comités d’usine, en éliminant la démocratie dans les forces armées et les lieux de travail, en réprimant l’opposition politique et les protestations ouvrières, les bolcheviks ont effectivement marginalisé la classe ouvrière de sa propre révolution. L’idéologie et la pratique bolchevique étaient elles-mêmes des facteurs importants et parfois décisifs dans la dégénérescence de la révolution et la montée ultime du stalinisme.
Comme l’avaient prédit les anarchistes depuis des décennies auparavant, en l’espace de quelques mois et avant le début de la guerre civile, l’État ouvrier bolchevik était devenu, comme tout État, un pouvoir étranger à la classe ouvrière et un instrument d’une minorité (Dans ce cas, la loi du parti). La guerre civile a accéléré ce processus et bientôt la dictature du parti a été introduite (en fait, les principaux bolcheviks ont commencé à soutenir qu’il était essentiel dans toute révolution). Les bolcheviks ont mis à bas les éléments socialistes libertaires dans leur pays, avec l’écrasement de l’insurrection à Kronstadt et le mouvement makhnoviste en Ukraine étant les derniers clous dans le cercueil du socialisme et la subjugation des soviets.
Le soulèvement de Cronstadt de février 1921 fut pour les anarchistes d’une immense importance (voir l’annexe «Qu’était-ce que la rébellion de Kronstadt?» Pour une discussion complète de ce soulèvement). Le soulèvement a commencé lorsque les marins de Kronstadt ont soutenu les ouvriers grévistes de Pétrograd en février 1921. Ils ont posé une résolution de 15 points dont le premier point était un appel à la démocratie soviétique. Les bolcheviks calomnient les rebelles de Kronstadt comme des contre-révolutionnaires et écrasent la révolte. Pour les anarchistes, cela était significatif car la répression ne pouvait se justifier en raison de la guerre civile (qui avait pris fin quelques mois auparavant) et parce que c’était un soulèvement majeur des gens ordinaires pour le socialisme réel. Comme le dit Voline:
«Kronstadt a été la première tentative entièrement indépendante du peuple pour se libérer de tous les jougs et pour mener à bien la Révolution sociale: cette tentative a été faite directement … par les masses ouvrières elles-mêmes, sans bergers politiques, sans dirigeants ou tuteurs. Premier pas vers la troisième révolution sociale “. [Voline, Op. Cit., Pp. 537-8]
En Ukraine, les idées anarchistes ont été appliquées avec le plus de succès. Dans les zones sous la protection du mouvement makhnoviste, les gens de la classe ouvrière organisent leur propre vie directement, en fonction de leurs propres idées et besoins – une véritable autodétermination sociale. Sous la direction de Nestor Makhno, paysan autodidacte, le mouvement a non seulement lutté contre les dictatures rouges et blanches, mais a également résisté aux nationalistes ukrainiens. En opposition à l’appel à «l’autodétermination nationale», c’est-à-dire à un nouvel État ukrainien, Makhno a plutôt appelé à l’autodétermination de la classe ouvrière en Ukraine et à travers le monde. Makhno a inspiré ses compatriotes paysans et ouvriers à se battre pour la vraie liberté:
«Conquérir ou mourir – tel est le dilemme auquel sont confrontés les paysans et ouvriers ukrainiens à ce moment historique … Mais nous ne vaincrons pas pour répéter les erreurs des dernières années, l’erreur de mettre notre sort entre les mains de nouveaux maîtres, nous vaincrons pour prendre nos destins en mains, conduire nos vies selon notre propre volonté et notre propre conception de la vérité”. [Cité par Peter Arshinov, Histoire du mouvement makhnoviste, p. 58]
Pour ce faire, les makhnovistes ont refusé de créer des gouvernements dans les villages et villes qu’ils ont libérées, en demandant instamment la création de soviets libres afin que les travailleurs puissent se gouverner eux-mêmes. Prenant l’exemple d’Aleksandrovsk, une fois libérés, les makhnovistes «invitaient aussitôt la population active à participer à une conférence générale … on proposait aux ouvriers d’organiser la vie de la ville et le fonctionnement des usines avec leurs propres forces armées et leurs propres organisations … La première conférence a été suivie d’une seconde. Les problèmes d’organisation de la vie selon les principes de l’autogestion des travailleurs ont été examinés et discutés avec animation par les masses ouvrières, avec le plus grand enthousiasme … Les cheminots ont fait le premier pas … Ils ont formé un comité chargé d’organiser le réseau ferroviaire de la région … A partir de ce moment, le prolétariat d’Aleksandrovsk a commencé à se tourner systématiquement vers le problème de la création d’organes d’autogestion.” [Op. Cit., P. 149]
Les makhnovistes soutenaient que «la liberté des ouvriers et des paysans est la leur et non soumise à aucune restriction. Il appartient aux travailleurs et aux paysans eux-mêmes d’agir, de s’organiser, de s’entendre entre eux dans tous les aspects de leur vie, comme ils le jugent bon et le désirent … Les makhnovistes ne peuvent faire que donner de l’aide et des conseils … En aucun cas, ils ne peuvent ni ne veulent gouverner.” [Peter Arshinov, cité par Guérin, op. Cit., P. 99]
A Alexandrovsk, les bolcheviks proposaient aux makhnovistes des sphères d’action – leur Revkom (Comité révolutionnaire) gérerait les affaires politiques et les makhnovistes les affaires militaires. Makhno leur a conseillé «d’aller prendre un commerce honnête au lieu de chercher à imposer leur volonté aux ouvriers». [Peter Arshinov dans The Anarchist Reader, p. 141]
Ils organisaient aussi des communes agricoles libres qui «[étaient] bien peu nombreuses et n’incluaient qu’une minorité de la population … Mais ce qui était le plus précieux, c’était que ces communes fussent formées par les pauvres paysans eux-mêmes. Ils n’exerçaient aucune pression sur les paysans, se bornant à propager l’idée de communes libres ». [Arshinov, Histoire du mouvement makhnoviste, p. 87]. Makhno a joué un rôle important en abolissant les possessions de la noblesse terrienne. Les soviets locaux et leurs congrès régionaux ont égalisé l’utilisation de la terre entre tous les secteurs de la communauté paysanne. [Op. Cit., Pp. 53-4]
De plus, les makhnovistes ont pris le temps et l’énergie nécessaire pour impliquer toute la population dans le débat sur le développement de la révolution, les activités de l’armée et la politique sociale. Ils ont organisé de nombreuses conférences de délégués ouvriers, soldats et paysans pour discuter des questions politiques et sociales ainsi que des soviets, des syndicats et des communes libres. Ils ont organisé un congrès régional des paysans et des ouvriers quand ils ont libéré Aleksandrovsk. Lorsque les makhnovistes tentèrent de convoquer le troisième congrès régional des paysans, des ouvriers et des insurgés en avril 1919 et un congrès extraordinaire de plusieurs régions en juin 1919, les bolcheviks les ont considérés comme des contre-révolutionnaires, tentant de les interdire et déclarèrant leurs organisateurs et leurs délégués hors la loi.
Les makhnovistes ont répondu en organisant les conférences quoiqu’il en soit et en demandant: ” Peut il exister des lois faites par quelques personnes qui se disent révolutionnaires, qui leur permettrait de rendre hors la loi tout un peuple plus révolutionnaire qu’eux ?” Et “quels intérêts la révolution doivent-ils défendre: ceux du Parti ou ceux du peuple qui mettent la révolution en mouvement avec leur sang?” Makhno lui-même déclarait qu’il “considérait comme un droit inviolable des travailleurs et des paysans, un droit gagné par la révolution, d’appeler des conférences pour leur propre compte, pour discuter de leurs affaires”. [Op. Cit., P. 103 et p. 129]
En outre, les makhnovistes “appliquaient pleinement les principes révolutionnaires de la liberté d’expression, de pensée, de presse et d’association politique. Dans toutes les villes occupées par les makhnovistes, ils ont commencé par lever toutes les interdictions et abroger toutes les restrictions Imposées à la presse et aux organisations politiques par l’une ou l’autre puissance”. En effet, la “seule restriction que les makhnovistes jugeaient nécessaire d’imposer aux bolcheviks, aux socialistes-révolutionnaires de gauche et aux autres statisticiens était une interdiction de former ces “comités révolutionnaires” qui cherchaient à imposer une dictature sur le peuple”. [Op. Cit., P. 153 et p. 154]
Les makhnovistes ont rejeté la corruption bolchevique des soviets et ont plutôt proposé “le système soviétique des travailleurs complètement libre et indépendant sans autorités ni de leurs lois arbitraires”. Leurs proclamations disent que “les ouvriers eux-mêmes doivent choisir librement leurs propres soviets, qui accomplissent la volonté et les désirs des ouvriers eux-mêmes, c’est-à-dire ADMINISTRATIF, ne gouvernant pas les soviets”. Sur le plan économique, le capitalisme serait aboli avec l’État – la terre et les ateliers «doivent appartenir aux ouvriers eux-mêmes, à ceux qui y travaillent, c’est-à-dire qu’ils doivent être socialisés». [Op. Cit., P. 271 et p. 273]
L’armée elle-même, contrairement à l’armée rouge, était fondamentalement démocratique (bien que, bien entendu, l’horreur de la guerre civile ait entraîné quelques déviations par rapport à l’idéal – par rapport au régime imposé à l’Armée rouge Par Trotsky, les makhnovistes étaient un mouvement beaucoup plus démocratique).
L’expérience anarchiste de l’autogestion en Ukraine a pris fin de façon sanglante quand les bolcheviks se sont retournés contre les makhnovistes (leurs anciens alliés contre les «Blancs», ou pro-tsaristes) quand ils n’étaient plus nécessaires. Ce mouvement de grande importance est discuté en détail dans l’annexe «Pourquoi le mouvement makhnoviste montre-t-il qu’il y a une alternative au bolchevisme? De notre FAQ. Cependant, il faut souligner ici la seule leçon évidente du mouvement makhnoviste, à savoir que les politiques dictatoriales poursuivies par les bolcheviks ne leur étaient pas imposées par des circonstances objectives. Au contraire, les idées politiques du bolchevisme ont une influence évidente dans les décisions prises. Après tout, les makhnovistes ont été actifs dans la même guerre civile et n’ont pas poursuivi les mêmes politiques de pouvoir du parti que les bolcheviks. Ils ont plutôt encouragé la liberté de la classe ouvrière, la démocratie et le pouvoir dans des circonstances extrêmement difficiles (et face à une forte opposition bolchevique à ces politiques). La sagesse reçue à gauche est qu’il n’y avait pas d’alternative ouverte aux bolcheviks. Sauf que l’expérience des makhnovistes la réfute. Ce que les masses du peuple, aussi bien que ceux au pouvoir, font et pensent politiquement est une partie du processus déterminant le résultat de l’histoire comme sont les obstacles objectifs qui limitent les choix disponibles. De toute évidence, les idées importent et, en tant que telles, les makhnovistes montrent qu’il y avait (et qu’il existe) une alternative pratique au bolchévisme – l’anarchisme.
La dernière marche anarchiste à Moscou jusqu’en 1987 a eu lieu aux funérailles de Kropotkine en 1921, quand plus de 10 000 personnes marchèrent derrière son cercueil. Ils portaient des drapeaux noirs qui disaient: «Là où règne l’autorité, il n’y a pas de liberté» et «La libération de la classe ouvrière est la tâche des ouvriers eux-mêmes». Alors que la procession passait devant la prison de Butyrki, les détenus chantaient des chants anarchistes et secouaient les barres de leurs cellules.
L’opposition anarchiste au sein du régime bolchevique en Russie commença en 1918. C’était le premier groupe de gauche à être réprimé par le nouveau régime «révolutionnaire». A l’extérieur de la Russie, les anarchistes continuaient à soutenir les bolcheviks jusqu’à ce que des sources anarchistes en viennent à parler de la nature répressive du régime bolchevik (jusque-là, beaucoup avaient dénigré les rapports négatifs comme provenant de sources pro-capitalistes). Une fois ces rapports fiables arrivés, les anarchistes à travers le monde ont rejeté le bolchevisme et son système de pouvoir et de répression du parti. L’expérience du bolchevisme confirmait la prédiction de Bakounine que le marxisme signifiait «le gouvernement hautement despotique des masses par une nouvelle et très petite aristocratie d’érudits réels ou prétendus: les gens ne seront pas éduqués, ils seront libérés des soucis du gouvernement et inclus entiérement dans le troupeau gouverné.” [Etatisme et anarchie, p. 178-9]
À partir de 1921 environ, les anarchistes hors de la Russie ont commencé à décrire l’URSS comme du «capitalisme d’état» pour indiquer que bien que les patrons individuels aient pu être éliminés, la bureaucratie d’état soviétique a joué le même rôle que les patrons individuels en europe Occidentale (Les anarchistes de russie l’ont définis comme ça depuis 1918). Pour les anarchistes, «la révolution russe … tente d’atteindre […] l’égalité économique … cet effort a été fait en Russie sous une dictature du parti fortement centralisée … cet effort pour construire une république communiste sur la base d’un communisme d’Etat fortement centralisé, sous la loi de fer d’une dictature de parti, va finir par échouer. Nous apprenons en Russie à savoir comment ne pas introduire le communisme”. [Kropotkin’s Revolutionary Pamphlets, p. 254]
Cela voulait dire ce que Berkman appelait «Le mythe bolchevique», l’idée que la révolution russe était un succès et devait être copiée par des révolutionnaires dans d’autres pays: «Il est impératif de démasquer la grande illusion, qui autrement pourrait conduire les ouvriers occidentaux à la Même abîme que leurs frères [et soeurs] en Russie. Il incombe à ceux qui ont vu en vrai le mythe d’exposer sa vraie nature.” [«L’anti-climax», Le mythe bolchevique, p. 342] De plus, les anarchistes estimaient que leur devoir révolutionnaire était non seulement de présenter et d’apprendre des faits de la révolution, mais aussi de manifester sa solidarité avec ceux qui étaient soumis à la dictature bolchevique. Comme Emma Goldman l’a soutenu, elle n’était pas «venu en Russie en espérant trouver l’anarchisme réalisé». Un tel idéalisme lui était étranger (bien que cela n’ait pas empêché les Léninistes de dire le contraire). Au contraire, elle s’attendait à voir «les débuts des changements sociaux pour lesquels la Révolution avait été combattue». Elle savait que les révolutions étaient difficiles, impliquant «destruction» et «violence». Que la Russie n’était pas parfaite n’était pas la source de son opposition vocale au bolchevisme. C’est plutôt le fait que «le peuple russe a été enfermé à clef» de sa propre révolution par l’État bolchevik qui a utilisé «l’épée et l’arme pour garder le peuple en dehors». En tant que révolutionnaire, elle a refusé “de s’associer à la classe des maîtres, qui en Russie s’appelle le Parti communiste”. [Mon désenchantement en Russie, p. Xlvii et p. Xliv]
Pour plus d’informations sur la révolution russe et le rôle joué par les anarchistes, voir l’annexe sur “La révolution russe ” de la FAQ. En plus de couvrir le soulèvement de Kronstadt et les makhnovistes, il explique pourquoi la révolution a échoué, le rôle de l’idéologie bolchevique a joué dans cet échec et s’il y avait des alternatives au bolchevisme.
Les livres suivants sont également recommandés: La Revolution Inconnue by Voline; La guillotine au travail par G.P. Maximov; Le mythe bolchévik et la tragédie russe, tous deux d’Alexandre Berkman; Les bolcheviks et le contrôle ouvrier par M. Brinton; L’insurrection de Kronstadt par Ida Mett; L’histoire du mouvement makhnoviste par Peter Arshinov; Ma désillusion en Russie et Vivre ma vie par Emma Goldman; Nestor Makhno Le Cosaque de l’Anarchie: La lutte pour les soviets libres en Ukraine 1917-1921 par Alexandre Skirda.
Beaucoup de ces livres ont été écrits par des anarchistes actifs pendant la révolution, beaucoup emprisonnés par les bolcheviks et déportés vers l’Ouest en raison de la pression internationale exercée par les délégués anarcho-syndicalistes à Moscou que les bolcheviks essayaient de gagner au léninisme. La plupart de ces délégués restèrent fidèles à leur politique libertaire et convainquirent leurs syndicats de rejeter le bolchevisme et de rompre avec Moscou. Au début des années 1920, toutes les confédérations syndicales anarcho-syndicalistes s’étaient associées aux anarchistes pour rejeter le «socialisme» en Russie comme du capitalisme d’Etat et une dictature du parti.
https://www.unioncommunistelibertaire.org/?Livre-Les-Anarchistes-russes-les
Livre : Les Anarchistes russes, les Soviets et la Révolution de 1917
24 février 2017 par Commission Journal (mensuel) _
« Tout le pouvoir aux soviets ! » Ce cri de ralliement, opportunément confisqué et galvaudé par les bolcheviks à partir de 1917, Alexandre Skirda nous démontre avec brio qu’il est inscrit au cœur des habitudes du peuple russe, trop souvent présenté comme servile et résigné.
Dans un ouvrage richement documenté et récemment réédité par les indispensables éditions Spartacus, l’auteur aussi érudit que discret des Anarchistes russes, les soviets et la révolution russe de 1917 retrace avec soin les racines des coutumes libertaires historiquement présentes chez les populations slaves. Que ce soit à travers les mirs ou les vetchés (sortes de communes et de regroupements agricoles), celles-ci sont les héritières d’une longue tradition d’organisation collective et démocratique.
Ce n’est donc pas un hasard si la Révolution russe de 1917 a démarré sous les meilleurs auspices avec la constitution de centaines et de milliers de comités d’usine, de soldats et de paysans, prenant en main l’organisation de la vie économique et sociale. Et ce n’est qu’au prix d’un terrible coup de force que les militants bolcheviks reprirent à leur compte la grande révolution soviétique et la pervertirent par la centralisation étatique et la folie autoritaire.
Bien avant Kronstadt, dès le printemps 1918, les anarchistes seront les premières victimes de la répression du nouveau pouvoir. Emprisonnés, déportés, éliminés, ils payeront chèrement leur combat pour l’autonomie des soviets et leur opposition à la dictature du « prolétariat » ou plutôt de ses pseudo-représentants.
À travers un remarquable travail d’historien, compilant sources inédites et traductions, le russisant Alexandre Skirda démontre irréfutablement l’affiliation directe entre léninisme et stalinisme.
Les crimes du second n’ayant été rendus possibles que par l’acharnement du premier à étouffer les instincts de liberté du peuple russe par la mise en place d’un appareil d’État impitoyable. Les gènes de la dégénérescence totalitaire étaient inscrits au plus profond de la conception autoritaire du pouvoir bolchevique.
Dans une seconde partie plus convenue, l’historien regroupe une série de quatorze textes datant de 1918 à 1927 dans lesquels ils donnent la parole à des libertaires ayant vécu de près ou de loin la Révolution russe. On y retrouve évidemment Alexandre Berkman, Emma Goldmann et Piotr Archinov, mais aussi des personnages moins connus tels que Anatole Gorélik ou Valesky. Mention spéciale pour les analyses de Rudolf Rocker et Efim Yartchouk sur les origines du système des soviets et leur rôle dans la révolution russe.
Alexandre Skirda clôt ce livre savant par une savoureuse lecture de l’anarchisme dans l’historiographie soviétique. On ne manquera pas de sourire – ou de bondir – devant les anathèmes, contre-vérités et qualificatifs dispensés par la propagande bolchevique.
Cet ouvrage, brillant quoique parfois un peu indigeste, a le grand mérite de nous rappeler les mérites des anarchistes pendant la révolution de 1917, mais aussi et surtout les raisons de leur échec. C’est à la lumière de cette expérience historique unique que les militants communistes libertaires d’aujourd’hui doivent forger leurs pratiques et leur capacité d’organisation afin d’ouvrir à nouveau l’horizon radieux de la révolution sociale.
Julien (AL Montpellier)
- Alexandre Skirda, Les Anarchistes russes, les Soviets et la Révolution de 1917, Spartacus, 2016, 348 pages, 19 euros.
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Publié le 8 Juin 2019 par Socialisme libertaire
Catégories : #Histoire, #Textes libertaires
Selon l’adage antisémite des années 1930, « les Juifs dominent le monde », qu’ils soient capitalistes ou communistes. Si de nombreux Juifs et Juives se sont impliqués dans la dynamique révolutionnaire en Russie, c’est d’abord pour sortir de la situation d’extrême pauvreté, des mesures discriminatoires, et des pogroms orchestrés par l’appareil d’État tsariste. Beaucoup de ces Juifs et Juives révolutionnaires avaient choisi le camp libertaire et ont subi la répression bolchevique.
La Russie commence à s’industrialiser au tournant du XXe siècle notamment dans des villes moyennes du Yiddishland. [1] C’est à Bialystock que se crée le premier foyer de militance libertaire juive, suite à une scission au sein du Bund. [2] Prônant la révolution sociale immédiate, ces très jeunes gens sont impatients d’en découdre avec l’autocratie tsariste, la religion et le capital, trouvant le Bund ou le Parti socialiste-révolutionnaire trop timide dans leurs actions. Au plus fort du mouvement révolutionnaire de 1905, on trouve plusieurs centaines d’activistes libertaires juifs rien que dans cette ville. Des groupes libertaires essaiment alors jusqu’aux confins du Yiddishland.
Même si ce phénomène reste minoritaire au regard de l’immense majorité des paysans, la classe ouvrière de ces villes moyennes, où les conditions sociales sont extrêmement dures, va être un élément moteur d’une révolution décentralisée. Dans le climat de guerre sociale larvée qui suit l’échec de la révolution de 1905, les activistes libertaires juifs choisissent très majoritairement la stratégie « action directe, sabotage, propagande par le fait, expropriation ». Dans une logique de vendetta face à la répression tsariste, ils et elles pratiquent la lutte armée contre les gradés de l’armée et la police, et commettent des attentas contre la bourgeoisie. Le passage à l’acte allant jusqu’à lancer une bombe dans la synagogue de Krynki qui abritait une réunion de patrons juifs. Ces anarchistes comme Samuel Schwartzbard initient des groupes d’auto-défense contre les pogromistes.
Riposter à la violence tsariste
La réaction du pouvoir tsariste est sans pitié. Entre 1906 et 1908, le mouvement libertaire est éradiqué en Russie, notamment dans le Yiddishland. Plusieurs milliers d’activistes périssent, d’autres sont emprisonnés ou envoyés en Sibérie. Les plus chanceux fuient en Occident et aux États-Unis où ils et elles vont fréquenter le mouvement libertaire et syndicaliste révolutionnaire, jusqu’en 1917, se formant à de nouvelles pratiques de lutte collective et de propagande. C’est à cette époque que Daniil Novomirsky, très influencé par Fernand Pelloutier, le promoteur des bourses du travail, en France, invente et utilise, en 1907, le terme « anarcho-syndicaliste ».
La révolution de 1917
De retour d’exil, en 1917, dans la « Mère Russie » par milliers, ces activistes libertaires juifs sont numériquement ultra minoritaire au regard d’une révolution qui engage six millions d’ouvriers et ouvrières, et une centaine de millions de moujiks. [3] Cependant ces militants et militantes aguerris vont devenir pour partie les cadres du mouvement anarchiste russe.
Débarrassés du carcan géographique du Yiddisland, ils et elles rejoignent en nombre Petrograd et Moscou, animent des soviets, dont celui de Kronstadt, des syndicats, éditent des journaux libertaires, structurent les organisations libertaires. [4] Physiquement engagés sur tous les fronts militaires, nombreux sont ceux et celles qui périssent les armes à la main. On les retrouve notamment en Ukraine, au côté de Nestor Makhno.
Puis de nouveau la répression s’abat sur le mouvement libertaire, dès avril 1918 à Moscou, mais cette fois ce sont les bolcheviks qui font le sale travail essentiellement au travers de leur appareil policier, la Tchéka, et de l’Armée rouge. Des anarchistes sont envoyés en exil dans les goulags où les sévices, le froid, la maladie et la disette les font mourir à petit feu jusque dans les années 1930. En 1920, Olga Taratouta, de son vrai nom Elka Ruvinskaia, écrit « qu’un an et demi de prison soviétique » lui avait coûté « plus de vie que les dix années de travaux forcés du temps tsariste ». Elle est fusillée le 8 février 1938 « pour activité antisoviétique et anarchiste » à 62 ans.
La « terreur rouge »
Les libertaires juifs sont particulièrement visés par l’appareil de répression bolchevik car très vite repérés en tant qu’animateurs et animatrices du mouvement. Leurs noms égrèneront dès 1922 les longues listes de victimes libertaires du pouvoir bolchevik.
Une certaine porosité avec la culture judaïque donne d’ailleurs des résultats assez étonnants : le terme « pogroms anti-anarchistes » est employé pour parler de victimes libertaires du pouvoir bolchevik.
Parallèlement, la présence de nombreux Juifs et Juives bolcheviks dans l’appareil d’État soviétique dès les premiers mois qui suivent la révolution, grâce à la fin des discriminations envers les minorités ethniques, suscitent bientôt une réaction antisémite. Lorsque l’extension de la bureaucratie favorise l’entrée massive d’une nouvelle génération issue des couches populaires paysannes, celle-ci entre en concurrence au sein de l’appareil stalinien, avec les « Juifs de la première heure ». Ces tensions perpétuent un antisémitisme populaire qui perdure jusqu’à nos jours en Russie.
De retour dans l’exil
La plupart des historiens libertaires de la Révolution russe sont d’origine juive. Ces intellectuel.les engagé.es dans l’action, Ida Met, Anatole Gorelik, Ephim Yartchouk, Voline, Alexandre Shapiro, ou des témoins oculaires tels Emma Goldman et Alexandre Berkman, n’ont de cesse dans leur exil de donner leur vision anti-autoritaire de la Révolution russe de dénoncer les exactions bolcheviks. Emma Goldman laisse dans ses Mémoires un témoignage émouvant de son passage dans un village d’Ukraine dans lequel les habitants juifs et juives viennent de subir un pogrom. Leurs analyses pertinentes de l’échec de la Révolution nous éclairent encore aujourd’hui sur la façon de conduire nos luttes et structurer notre mouvement. Ils et elles théorisent le système soviétique comme « capitalisme d’État ».
Dès 1922, la situation au goulag et la répression bolchevik (appelée « fascisme rouge », par Voline) est dénoncée par ces militant.es. Beaucoup ne les écoutent pas à cette époque, parce qu’ils et elles sont anarchistes. La droite et son extrême ne peuvent s’arroger le monopole de la dénonciation des crimes soviétiques : les anarchistes qui se revendiquent du communisme ont toute la légitimité pour clamer haut et fort l’horreur des goulags. D’ailleurs laissons parler Gorelik, Voline et Konov : « Un jour l’historien de la révolution s’arrêtera tout étonné et effrayé aux pages relatant les persécutions que le gouvernement communiste fit subir à l’idée libertaire, à ses disciples, propagateurs et militants ; il se détournera de ces pages en tressaillant. A première vue, il ne les croira pas. Et lorsqu’il les croira, lorsqu’il se persuadera de leur véracité bouleversante, il les qualifiera comme les pages les plus noires de l’histoire du communisme étatiste. Et il cherchera audacieusement l’explication historique et psychologique de cette épopée sanguinaire » [5]
Un anarchiste juif signe le dernier acte de la révolution russe, en 1927 à Paris : Samuel Schwarzbard y assassine le pogromiste ukrainien Petlioura d’un coup de pistolet en pleine rue devant le restaurant d’où il sortait. Son acte est considéré par la justice française comme de la légitime défense, ce qui lui permet d’échapper à la condamnation. Pour la petite histoire, Schwarzbard s’était procuré son arme auprès d’un groupe de militants exilés de la CNT espagnole. [6] »
Jean-Marc Izrine [7]
[1] Région dans laquelle les tsars avaient cantonné les Juifs de Russie (Lituanie, Biélorussie, Ukraine, Galicie, Pologne, Moldavie)
[2] Parti social-démocrate spécifiquement juif et tout aussi numériquement important à lui seul que le Parti ouvrier social-démocrate russe.
[3] Paysans en russe.
[4] Voir le dossier d’Alternative libertaire de juillet-août 2017, où plusieurs activistes juifs du mouvement sont cités.
[5] Brochure La répression de l’anarchisme en Russie soviétique, juin 1922.
[6] Juan Garcia Oliver, L’Écho des pas, Le Coquelicot, p.98-99.
[7] Jean-Marc Izrine est l’auteur de Les Libertaires du Yiddishland, éditions d’Alternative libertaire.
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★ L'anarchisme juif aux États-Unis - Socialisme libertaire
À contretemps, n° 35, septembre 2009. Fils d'une famille juive d'Odessa, Paul Avrich (1931-2006), prolixe historien de l'anarchisme, s'intéressa de très près à sa dimension juive. À la faveu...
http://www.socialisme-libertaire.fr/2017/03/l-anarchisme-juif-aux-etats-unis.html
En complément :
https://www.cairn.info/revue-revue-d-histoire-de-la-shoah-2008-2-page-319.htm
- Dans l’ombre de la Shoah : les pogromes des guerres civiles russes (1918-1921)
- Nicolas Werth
- Dans Revue d’Histoire de la Shoah 2008/2 (N° 189), pages 319 à 357
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Article tiré de :
https://www.nidieunimaitre.ovh/histoire/article/les-banquiers-americains-et-britanniques-ont-ils-fait-chuter-ernest-makno-et?lang=fr
L’armée blanche était tsariste.
Par rouges il faut entendre le camp des bolcheviques. (marxistes autoritaires)
Le verts étaient composés des partisans d’Ernest MAKHNO, paysans communistes libertaires (50 000 combattants) mais aussi des partisans d’Alexandre ANTONOV paysans socialistes révolutionnaires, (également 50 000 combattants durant la révolte de Tambov). Ces derniers prônaient le multipartisme et la propriété individuelle.
Le parti du socialiste révolutionnaire (et démocrate) KERENSKY joua également un rôle déterminant mais éphémère comme nous le verrons ultérieurement.
Sous réserves d’erreurs de traductions voici des extraits de l’ouvrage de Grace Baumgarten paru le 5 août 2016 « Cannot Be Silenced (English Edition) »
« Quand Anthony Sutton a fait des recherches sur les dossiers de renseignements du Département d’État, il a trouvé plusieurs références montrant que William Boyce Thompson a donné 1 million de dollars à Lénine. En outre, Sutton a constaté que Lénine avait nationalisé toutes les banques en Russie à l’exception de la Banque nationale de la ville, contrôlée par les Rockefeller, qui restait ouverte et continuait à fournir des fonds aux bolcheviks. Sutton dans son livre, Wall Street & The Bolchevik Revolution, comme le prétend Thompson lui-même dans le Washington Post du 2 février 1918, relève que Thompson donna de l’argent aux bolcheviks, et non au gouvernement provisoire dirigé par KERENSKY.
Où les bolcheviks ont-ils obtenu la nourriture et les fournitures médicales dont ils avaient besoin pour consolider leur contrôle sur la Russie ? Herbert Hoover dirigea la Mission de Secours américaine après la Première Guerre mondiale. Le 28 mai 1919, il écrivit au président Wilson : « À cause des conceptions économiques bolcheviques, le peuple russe meurt de faim et de maladie au rythme de quelques centaines de milliers dans un pays qui fournissait jadis de la nourriture à une grande partie du monde, les bolcheviks ont eu recours à la terreur, à l’effusion de sang et au meurtre à un degré où ils étaient abandonnés même par les tyrannies réactionnaires.
À ce moment-là, Lénine et ses partisans ne tenaient qu’une petite zone du territoire ; le reste du pays était sous le contrôle de ceux qui voulaient rendre la liberté au peuple russe. Considérant la brutalité et l’inhumanité des bolcheviks, on pourrait penser que la plupart des secours américains auraient été envoyés aux anti-communistes, mais ce n’était pas le cas. Herbert Hoover catalogua la destination de la nourriture, des fournitures médicales, des vêtements et de la charité d’Amérique envoyés en Russie : la nourriture, les vêtements et les fournitures médicales envoyés dans les zones contrôlées par les anti-communistes étaient trois fois moindre que ce que nous envoyions aux bolcheviks.
Pour faciliter le commerce, les bolcheviks avaient besoin d’une banque internationale. Ils ont sélectionné plusieurs anciens banquiers tsaristes et des représentants de banques allemandes, suédoises et américaines pour siéger à leur conseil d’administration. Les fonds de la banque soviétique provenaient d’Angleterre et le directeur de la division des changes de la banque bolchevik était Max May, vice-président de Guaranty Trust Company, une banque de JP Morgan. Ainsi, nous constatons que les banquiers britanniques et américains contrôlaient largement la banque centrale des bolcheviks.
L’armée russe blanche dans le sud de la Russie était dirigée par le général Wrangel. Ses forces battaient les bolcheviks jusqu’à ce que des agents britanniques lui ordonnent de retirer son armée dans la mer Noire et de quitter la Russie. On lui a dit que s’il refusait, ils couperaient sa source d’approvisionnement, et ses hommes périraient. Les agents anglais ont détruit les avions qu’il avait achetés, et finalement il a été forcé d’abandonner ses efforts pour libérer la Russie. Sur le front de l’Est, l’amiral Kolchak dirigeait l’armée anticommuniste. Lui aussi battait les bolcheviks jusqu’à ce que ses approvisionnements soient coupés par les financiers britanniques et américains qui l’avaient financé. Une fois que les banques avaient extrait les concessions économiques qu’ils voulaient de Lénine, ils cessèrent de soutenir ses ennemis. »
« Anthony Sutton a documenté le fait que le communisme russe a été financé par des banques occidentales et des sociétés occidentales depuis sa création dans son ensemble en trois volumes, la technologie occidentale et le développement économique soviétique. Dans son livre, Wall Street et la révolution bolchevique, il a documenté le fait que les banques Rockefeller et Morgan fournissaient des prêts aux bolcheviks, tandis que l’industrie américaine leur fournissait les usines et la technologie dont ils avaient besoin. Westinghouse, Henry Ford, Averill Harriman, Armand Hammer, Exxon et d’autres entreprises américaines ont construit l’infrastructure qui a permis à l’Union soviétique de survivre. »
Ainsi les « banques avaient extrait les concessions économiques qu’ils voulaient de Lénine »
En outre, selon la doctrine bolchevique, les exportations de céréales devaient financer l’essor de l’industrie d’Etat et seuls les ouvriers urbains représentaient les vrais prolétaires de la révolution.
Les paysans, supposés imperméables aux objectifs radieux de la dictature du prolétariat, étaient toujours désignés comme plus riches les uns que les autres et capables d’embaucher des salariés ou de prêter de l’argent à leurs voisins. Ils étaient dénommés péjorativement des « Koulaks ».
La nationalisation de toutes les terres qui venaient d’être partagées entre ceux qui la travaillaient dissuada les paysans de la cultiver au-delà de leurs propres besoins.
Le régime bolchevique réagit à la chute des rendements qui s’ensuivit par des réquisitions qui ne permettaient plus aux paysans de se nourrir.
Qui était Kerenski ?
Alexandre Fiodorovitch Kerenski fut membre du Parti socialiste révolutionnaire (d’inspiration démocratique, socialiste à majorité paysanne.) A cette époque la russie était rurale à 85%.
A la suite de la révolution de Février qui marque le début de la révolution russe de 1917 et provoque en quelques jours l’abdication de l’empereur Nicolas II, la fin de l’Empire russe et de la dynastie des Romanov , les socialistes révolutionnaires vont prendre le pouvoir et par la suite Kerenski forma un gouvernement à majorité socialiste. Kerenski, maître du pays, va rester aux commandes de la Russie pendant près de 100 jours.
Kerenski et les autres responsables politiques se sentent obligés de respecter leurs engagements vis-à-vis de la Triple-Entente, c’est-à-dire de continuer la guerre jusqu’à une victoire de plus en plus hypothétique.
La propagande du parti bolchevique, promet au peuple « du pain, la paix et des terres ». Les soldats du front, très réceptifs à ce discours, désertent en masse pour regagner leurs villages en amplifiant la désintégration de l’armée.
Suite au coup d’État du 25 octobre 1917 par les bolcheviks, Kerenski vivra en exil, en France jusqu’en 1940 puis aux USA.
On sait ce qu’il advint des promesses.
Le temps d’asseoir son pouvoir autoritaire, Lénine laissera les soviets autogérer les terres. Ensuite il bafouera l’engagement de donner la terre à ceux qui la cultivent et les terres seront déclarées propriété de l’Etat. Les paysans furent asservis dans des kolkhozes ou sovkhozes.
Ci-dessous des extraits du récit de Thierry Wolton dans son ouvrage
Histoire mondiale du communisme, Les victimes
CHAPITRE 22 Les damnés de la terre
[Extraits choisis qui, espérons le, inciterons à acheter l’ouvrage :]
La déception provoquée par les révolutionnaires parvenus au pouvoir alimente cette résistance paysanne. Les travailleurs de la terre, qui auraient dû être les principaux bénéficiaires des nouveaux régimes, dans des pays essentiellement agraires, ont été les premiers trahis dans leur espérance. Après avoir fait miroiter aux paysans une répartition des richesses, pour obtenir leur soutien, tous les dirigeants communistes se sont mis à réquisitionner les récoltes, à embrigader les hommes, à déporter les familles. Les campagnes collectivisées ont toutes été victimes du dogme marxiste sur l’accumulation socialiste primitive. Les « damnés de la terre », pour reprendre l’expression de Frantz Fanon sont devenus l’ivraie du communisme. Le paysan a vite été confondu avec le koulak – un mot d’origine russe appelé à connaître une universalité communiste –, qu’il fallait éliminer au nom de l’égalité proclamée. Le paysan s’est trouvé assimilé au « riche », il a été consacré ennemi du socialisme en construction. La résistance paysanne est devenue une contre-révolution à combattre. Les campagnes, qui rêvaient de liberté, ont été réduites en esclavage. Les cinq premières années du bolchevisme, celles où Lénine est en pleine possession de ses moyens, sont cruciales dans ce processus.
[…]
On sait qu’après le coup d’Etat d’octobre, son double décret sur la terre dénote l’ambiguïté de sa démarche. D’une part, il entérine le partage des grands domaines, occasionné par les jacqueries, d’autre part, il promeut la socialisation de la terre, sa redistribution en fonction des bouches à nourrir, l’interdiction du salariat agricole et de l’affermage.
Incapables de discipliner la masse paysanne, les bolcheviks laissent des comités agraires décider eux-mêmes des modalités d’application de ces décrets.
Les solutions adoptées varient considérablement d’un canton à l’autre. En laissant la bride sur le cou à la révolte paysanne, le leader bolchevique détourne l’attention des campagnes sur ce qui se passe en ville, là où le vrai pouvoir se concentre. Pendant que les moujiks s’occupent de leurs problèmes, ils se désintéressent du sort de la Constituante dont l’élection, en novembre 1917, a donné une majorité relative aux socialistes-révolutionnaires. Le danger principal vient de là pour les bolcheviks, d’autant que les socialistes-révolutionnaires sont mieux implantés dans les campagnes que ne l’est le parti de Lénine. Couper les socialistes-révolutionnaires de leur base paysanne en occupant celle-ci au partage des terres, permet d’isoler l’ennemi politique à Petrograd. Après que Lénine eut fait dissoudre l’Assemblée constituante en janvier 1918, le jour de sa convocation, le monde paysan dans sa grande majorité ne bouge pas. Le leader bolchevique a gagné sa première bataille de dirigeant totalitaire. Il peut maintenant reprendre en main les campagnes.
Les difficultés de ravitaillement dans les villes, au printemps 1918, donnent un prétexte au nouveau pouvoir pour déclarer la guerre aux « receleurs ». Des détachements armés sont envoyés dans les villages afin d’y chercher les stocks cachés. Ils sont aidés sur place par des comités de paysans pauvres créés pour la circonstance : la lutte des classes version léniniste, avec son cortège de malheurs, pénètre dans les campagnes. La radicalisation espérée par Lénine ne va pourtant pas dans le sens souhaité. Les paysans pauvres refusent les structures collectives qui leur sont proposées (des kolkhozes et des sovkhozes, déjà), les ouvriers agricoles préfèrent l’autonomie économique en obtenant des communautés villageoises une répartition plus égalitaire des parcelles. Les paysans les plus riches perdent une partie de leurs terres, mais les paysans moyens-pauvres, sur lesquels porte l’essentiel des réquisitions, menacent de se retourner contre le régime. Les comités de paysans pauvres sont supprimés à la fin de 1918. La menace des armées blanches n’est pas étrangère à ce recul. Moscou craint à ce moment-là une coalition des blancs et des paysans qui pourrait menacer la révolution.
Contrairement à ce que prétend la propagande communiste, qui cherche à ostraciser les paysans, qualifiés de « réactionnaires », la campagne russe n’a pas l’intention de se rallier à l’étendard d’une noblesse qui rêve, elle, de revenir aux anciennes structures féodales. Les villageois se trouvent pris dans l’étau de la guerre entre Rouges et Blancs, ils en deviennent les principales victimes.
Des émeutes éclatent en Russie centrale à l’été 1918.
Les réquisitions de céréales et l’enrôlement de force des hommes dans les rangs de l’Armée rouge sont à l’origine de la révolte.
La brutalité des détachements militaires venus confisquer la récolte a attisé les rancœurs, alors que les paysans refusaient de participer à une guerre fratricide aux côtés des forces rassemblées par Trotski, le commissaire du peuple à la Guerre. Les rapports de la police politique, pour les mois de juillet à novembre 1918, font état de 108 rébellions « koulaks », un mot passe-partout déjà.
Au printemps 1919, le soulèvement paysan prend une nouvelle ampleur dans la région de la moyenne Volga. Cette fois, les bolcheviks doivent faire face à une véritable armée de 20 000 à 30 000 hommes, dont une partie sont des soldats qui ont déserté l’armée rouge. Les insurgés parviennent à s’emparer de plusieurs villes avant que la répression ne fasse un millier de morts, dont 600 « rebelles » fusillés.
Cette résistance est politisée. Les soldats qui y participent ont fait leurs classes pendant la révolution de février 1917, au sein des comités de soldats apparus à l’époque. Beaucoup d’entre eux sont proches des socialistes-révolutionnaires, ils condamnent le tournant totalitaire pris par le nouveau régime. « Pour des soviets sans communistes ! », l’un de leurs mots d’ordre, révèle les désillusions provoquées par la politique des bolcheviks. En Biélorussie, une brigade de l’armée rouge se soulève, rejointe par des paysans. « Tout le pouvoir à l’Assemblée constituante, respect des libertés civiques, la terre au peuple », figure parmi les revendications avancées.
Le printemps 1919 voit apparaître des bandes armées, composées de déserteurs et de paysans, les Verts comme on va les appeler pour les distinguer des Rouges et des Blancs qui s’affrontent. Ces bandes armées se battent sur deux fronts, contre les réquisitions de grain et contre les pillages de villages que pratiquent les belligérants. Les Verts tiennent à ce moment-là la Russie centrale et occidentale, ils désorganisent les liaisons militaires. Pour le nouveau pouvoir, la menace est réelle. Près de 4 millions de déserteurs – la plupart des paysans mobilisés- ont été recensés entre l’été 1918 et la fin de l’année 1920. Les soldats quittent en masse l’Armée rouge, surtout au moment des moissons, pour ne plus revenir après. Les liens entre les déserteurs et les paysans sont forts, ils appartiennent au même monde.
La carte des soulèvements paysans correspond à l’époque à la carte des réquisitions forcées opérées par les bolcheviks : territoire des Cosaques, l’Ukraine, la Polésie biélorusse, la région de la Volga. Le mouvement s’élargit ensuite au Kouban, en Sibérie, dans les régions de Tioumen, d’Ekaterinbourg… La révolution paysanne est matée avec force. A la sauvagerie des campagnes répond la terreur du parti-Etat, qui use de tous les moyens que lui offre l’appareil répressif pour écraser ces rebelles. Les rancunes accumulées, l’incompréhension mutuelle exacerbent les passions, elles expliquent le chaos. Du côté des émeutiers, on combat l’imposture du nouveau pouvoir qui a trahi les soviets. Les bandes armées se présentent comme des « vengeurs », comme les « authentiques défenseurs des opprimés ». Elles se livrent à de terribles exactions : empalement, enterrement vivant, émasculation, crucifixion des fonctionnaires qui leur tombent sous la main.
Du coté du parti-Etat, la riposte n’est pas moins terrible. Tous les moyens de la guerre moderne – mitrailleuses, artillerie, aviation, gaz de combat – sont utilisés contre les villages insurgés. Des « détachements d’extermination » – leur nom officiel – sont chargés de « nettoyer » le terrain. A l’entrée de certains villages, on peut lire, écrit de la main des enfants : « Ne nous tuez pas ! »
Antonov et Makhno, destins parallèles
Moscou réussit à faire croire que la résistance paysanne est l’alliée de « l’impérialisme », dont des troupes interviennent en Russie au même moment. Ce mensonge finit par devenir vérité tant il correspond au cadre idéologique souhaité. L’attachement à la terre de ceux qui la travaillent, la sauvegarde de la propriété privée sont des maux absolus pour les marxistes. Les paysans, pétris de leurs traditions, incarnent l’arriération, une classe forcément hostile aux « lumières » apportées par les révolutionnaires. Leur élimination est une nécessité pour la réussite du projet bolchevique. En fait, les campagnes ne se soulèvent pas contre les idées communistes mais contre les bolcheviks qui ont confisqué l’Etat à leur profit. Après des siècles de soumission, le paysan s’est mis à goûter à la liberté en février 1917, c’est cette conquête qu’il défend. Les structures collectives que le nouveau pouvoir veut mettre en place sont qualifiées de « second servage ». Entre Moscou et les campagnes, le divorce est total : à la volonté de tout contrôler des bolcheviks s’oppose l’irréfragable désir d’indépendance du monde paysan.
En juin 1918, Lénine s’entretient avec Nestor Makhno, un révolutionnaire ukrainien, anarcho-communiste. Makhno va lever, quelques mois plus tard, une « Armée insurrectionnelle ukrainienne » qui sera d’un secours inestimable pour les Rouges, dans leur guerre contre les Blancs. Ces derniers une fois vaincus, Moscou se retournera contre les makhnovistes pour les écraser. L’entrevue de juin 1918 avec Lénine est un échange entre deux révolutionnaires qui n’ont pas la même vision de l’avenir. Dans ses Mémoires, l’anarchiste ukrainien revient sur cette conversation. Pour Makhno, la révolution est « un moyen de se libérer du joug du seigneur et du riche koulak, mais aussi de leur valet : le pouvoir politique et administratif du fonctionnaire ». L’incompréhension de Lénine est manifeste : « Il me reposa trois fois la même question et s’étonna chaque fois que je lui fasse la même réponse, à savoir que les paysans avaient identifié sur place le mot d’ordre “Tout le pouvoir aux soviets” avec la conscience et la volonté des travailleurs d’agir par eux-mêmes, sans intermédiaires », rapporte Makhno.
« “Pensez-vous que cette interprétation de notre mot d’ordre par les paysans soit juste ? me demanda Lénine.
– Oui, répondis-je.
– Dans ce cas, la paysannerie de votre région est contaminée par l’anarchisme, remarqua Lénine.
– Est-ce un mal ?
– Ce n’est pas ce que je voulais dire. Bien au contraire, il faudrait s’en réjouir, car cela hâterait la victoire du communisme sur le capitalisme et son pouvoir.
– C’est flatteur pour moi, dis-je à Lénine, en me retenant de rire.
– Non, non, je parle très sérieusement, assura Lénine. Mais je pense que ce phénomène n’est pas spontané : les propagandistes anarchistes l’ont suscité parmi les paysans et, tout aussi bien, ils pourraient rapidement disparaître…” »
Après la défaite de l’amiral Koltchak, à la fin de 1919, les paysans se trouvent libérés de l’hypothèque qui pesait sur eux, avec le risque d’un retour de l’ancien régime si jamais les blancs l’avaient emporté. Combattre les bolcheviks ne peut plus, dès lors, faire le jeu des nobles et des hobereaux. Les paysans repartent en guerre contre les Rouges. Le parti-Etat va devoir faire face à ce moment-là à deux insurrections de vaste ampleur. En février-mars 1920, les provinces de Kazan, d’Oufa et de Samara se soulèvent. Après le retrait des armées blanches, les Rouges s’y sont livrés à des réquisitions punitives particulièrement lourdes et brutales. La révolte paysanne, forte de plusieurs dizaines de milliers d’hommes armés de fourches, est une riposte aux exactions commises.
L’insurrection de « l’Aigle noir et du laboureur », comme elle est appelée, rassemble des paysans d’origine russe, mais aussi des Tatars et des Bachkirs. Tous dénoncent les réquisitions et tous refusent la politique athée du régime.
Moscou vient de déclarer la guerre à l’Eglise. Aux revendications sur la liberté et le droit de propriété s’ajoute la question religieuse. Dix mille hommes de troupe sont nécessaires pour écraser cette résistance. Trotski, qui s’est rendu sur place avant la grande bataille, avait suggéré de suspendre les réquisitions de céréales dans l’espoir de calmer les esprits. Une seconde insurrection s’étend de la province de Tambov aux régions de la moyenne Volga. Elle couvre des dizaines de kilomètres carrés et touche plus de 3 millions d’habitants dont 90% de ruraux.
Dotée d’une agriculture florissante, traversée par plusieurs voies ferrées, il s’agit d’une région nourricière pour Moscou, et d’un nœud stratégique. Ces intérêts expliquent la brutalité de la répression à venir.
La résistance prend forme en mai 1920 avec le programme adopté par le Congrès régional paysan de Tambov. Les paysans y réclament l’abolition du parti communiste, la convocation d’une Assemblée constituante sur la base du suffrage universel, l’instauration d’un gouvernement provisoire composé de tous les partis et de toutes les organisations qui ont pris part à la lutte contre les bolcheviks. Ce Congrès régional revendique également le retour de la terre à ceux qui la travaillent, l’abolition des réquisitions, la fin de la division des travailleurs en classes sociales. L’assemblée décide par ailleurs de reconnaître tous les partis, à l’exception des Centuries noires monarchistes, et se prononce pour la dissolution des organisations bolcheviques, jugées « nuisibles au peuple travailleur ».
Alexandre Antonov, un ancien socialiste-révolutionnaire de gauche, âgé d’une trentaine d’années, prend la tête de la révolte. Originaire de Tambov, Antonov a participé à plusieurs « expropriations » à l’époque tsariste. Ses actions lui ont valu une condamnation à la prison à vie sous l’ancien régime. Libéré après la révolution de février 1917, il rejoint les SR de gauche, s’active dans les soviets où son parti est majoritaire. Il se heurte déjà aux bolcheviks qui veulent prendre le contrôle des conseils ouvriers et paysans. La dissolution de la Constituante en janvier 1918, puis le bâillonnement des soviets, poussent Antonov dans la clandestinité. Réfugié dans les bois de sa région natale, à la tête d’une bande armée, il entame des actions de guérilla contre le pouvoir. Au moment où les paysans se soulèvent contre les réquisitions, il se joint à leur mouvement. En 1920, il est devenu le héros de la région. « Au début d’août 1920, la bande d’Antonov apparut pour la première fois dans le bourg d’Afanassieva et elle comptait à peine 60 hommes, précise un rapport secret de la commission de l’état-major. Les méthodes maladroites, cruelles, de la Tchéka provinciale (…), les mesures dépourvues de tact à l’égard de la paysannerie hésitante ont ému la masse et donné des résultats négatifs, contraires à leur but, poursuit le rapport : la bande ne fut pas définitivement liquidée, elle se dispersa et ensuite elle grandit progressivement, elle atteignit des dimensions très importantes en se répandant de jour en jour dans la province. » Antonov réussit bientôt à rassembler sous ses ordres jusqu’à 50 000 hommes. L’auteur du rapport souligne les qualités de ce chef, « un personnage exceptionnel avec un grand talent d’organisateur, (…) un promoteur brillant des idées socialistes-révolutionnaires et des mots d’ordre de démocratie intégrale et d’assemblée constituante ». Les actions menées par l’« armée d’Antonov » sont détaillées : « Le mouvement prend la forme d’une lutte programmée et organisée contre les organes du pouvoir soviétique : on détruit systématiquement et obstinément les sovkhozes, les kolkhozes, les communes, etc. (…) Tous les organes du pouvoir soviétique ont été entièrement détruits et (…) les représentants des soviets sont infailliblement exterminés par les insurgés. »
Cette résistance paysanne se livre également à l’agit-prop, elle distribue des tracts, tient des meetings pour essayer de rallier à sa cause la population, les ouvriers et les soldats de l’Armée rouge. Parallèlement à la lutte armée, une guerre idéologique est engagée contre « l’usurpateur », le parti-Etat bolchevique qui a confisqué la révolution.
Pour Moscou, il ne s’agit pas seulement d’écraser cette résistance, il faut extirper l’esprit rebelle des campagnes. L’offensive contre les insurgés vise à rétablir l’ordre autant qu’à exterminer les coupables, et leurs familles avec eux. Une guerre totale répond à la guerre idéologique menée par les paysans. A la fin avril 1921, sur l’initiative de Lénine, et en réaction à sa demande d’une « répression des plus rapides et des plus exemplaires », Mikhaïl Toukhatchevski est nommé commandant en chef des troupes de la région. Ancien officier de la garde impériale entré au parti bolchevique en 1918, le général a toute la confiance du nouveau pouvoir. Il s’est illustré dans la guerre contre la Pologne, il vient de liquider la mutinerie de Kronstadt emmenée par des marins et des ouvriers qui voulaient préserver les acquis de la révolution de février 1917. Son alter ego politique dans la région, le président du Comité exécutif, est Vladimir Antonov-Ovseïenko. Cet ancien menchevik a rallié Lénine en juin 1917, en même temps que Trotski. Le général et le politique sont des nouveaux convertis au bolchevisme qui doivent se faire pardonner leur passé en faisant preuve de zèle révolutionnaire à Tambov.
Ils seront sans pitié.
Contre les insurgés, l’Armée rouge mobilise toutes ses forces dans la région, soutenues par les troupes de la Tchéka. Face aux 35 000 baïonnettes, aux 10 000 sabres, aux centaines de mitrailleuses, aux 60 canons, aux engins blindés, à l’aviation qu’aligne Toukhatchevski, l’armée paysanne, qui se déplace à pied ou à cheval, n’a pas les moyens de résister. Antonov-Ovseïenko rend compte à Moscou de l’offensive : « Les bandes de bandits qui avaient fortement fondu dès le mois de mai sous l’influence du revirement dans l’état d’esprit des paysans, ont subi des coups mortels dans la première moitié de juin [du 2 au 8, la deuxième armée d’Antonov a été défaite principalement par le détachement motorisé de Konopko] (…) ; des efforts convulsifs pour rétablir la situation ont donné aux bandits plusieurs succès ponctuels (…). Mais au début de juillet, même ces débris de bandes sont liquidés l’un après l’autre par nos unités. Sur 21 000 combattants, comptés par nos services de renseignement dans les rangs des bandes au début de mai, il s’en conservait en tout et pour tout quelques centaines vers la mi-juillet, les autres avaient été tués, ou bien ils s’étaient rendus, ou il s’étaient enfuis. »
Pour liquider le dernier carré des résistants, Toukhatchevski ordonne leur gazage, une solution radicale. « Les débris des bandes défaites et des bandits isolés se rassemblent dans la forêt et se livrent à des attaques contre des habitants paisibles, écrit le général dans l’ordre n° 171 du 11 juin 1921. 1)
La forêt où les bandits se cachent doit être nettoyée au moyen de gaz asphyxiants ; tout doit être calculé de façon que la nappe de gaz pénètre dans la forêt et extermine tout ce qui s’y cache. 2)
L’inspecteur de l’artillerie doit immédiatement fournir les quantités requises de gaz asphyxiants ainsi que les spécialistes compétents pour ce genre d’opération. »
Cette méthode d’extermination avait déjà été utilisée, sous les ordres du même général, contre les insurgés de Kronstadt en mars 1921. Des centaines de paysans insurgés sont gazés. La population n’est pas épargnée. Un autre ordre, pris ce même 11 juin 1921, avalisé par le Politburo à Moscou, précise les modalités de la punition à infliger : « Afin d’arracher définitivement toutes les racines du banditisme SR, le Comité exécutif ordonne ce qui suit :
1) Les citoyens qui refuseraient de décliner leur identité seront fusillés sur le champ sans jugement.
2) La peine de prise d’otages peut être prononcée et ils seront fusillés si les armes ne sont pas rendues.
3) En cas de découverte d’armes dissimulées, fusiller le chef de famille, sur-le-champ et sans jugement.
4) Toute famille ayant hébergé un bandit est passible d’arrestation et de bannissement hors de la province, ses biens seront confisqués et le chef de famille sera fusillé sans jugement.
5) Le chef de toute famille ayant caché des membres des familles ou des biens des bandits sera fusillé sur place sans jugement.
6) En cas de fuite de la famille d’un bandit, ses biens seront distribués aux paysans loyaux envers le régime soviétique, et les maisons abandonnées brûlées ou démolies.
7) Cet ordre doit être appliqué rigoureusement et impitoyablement. Il en sera donné lecture aux assemblées de village. »
Dans son rapport envoyé à Moscou à la fin juillet, Antonov-Ovseïenko fait le bilan de cette campagne de terreur : « On a pris comme otages 3 430 individus, 913 familles. On a confisqué 157 exploitations, on a brûlé ou détruit 85 maisons. Dans la dernière semaine, le nombre de bandits et de déserteurs hors de combat a augmenté : il est passé à 16 000 ; celui des familles, à 1 500 ; celui des exploitations confisquées, à 500 ; celui des maisons brûlées et rasées, à 250. (…) Dans le district le plus rebelle, celui de Tambov, on a pris les mesures les plus sévères dans le canton de Beloe Mesto-Dvoïna, où les paysans, qui s’obstinaient à cacher les armes et les bandits, ne se sont rendus qu’après l’exécution de deux groupes d’otages koulaks. Au total, on a fusillé là-bas 154 bandits otages, on a arrêté 227 familles de bandits, on a brûlé 17 maisons, on en a détruit 24 … »
La prise d’otages comme méthode de représailles, la notion de culpabilité collective, et les camps de concentration de masse, l’arsenal de la terreur communiste, sont inaugurés à Tambov. Des villages entiers, toutes générations et sexes confondus, sont internés à ciel ouvert, en plein champ. 50 000 paysans environ, dont plus d’un millier d’enfants, subissent ce sort. Au total, 100 000 personnes allaient être emprisonnées ou déportées, et 15 000 exécutées.
A l’échelle d’un pays dont la paysannerie forme l’essentiel de la population et son socle culturel, l’écrasement de cette insurrection est l’un des événements les plus traumatisants qu’a connus la nouvelle Russie communiste. Au-delà de Tambov, c’est toute la paysannerie, dans toutes les provinces, qui est frappée par les répressions de 1920-1921, pour imposer la collectivisation. Avec les transferts de population, la division de la paysannerie en classes sociales artificielles, l’instauration des kolkhozes et des sovkhozes, la destruction de la religion et de la culture locale, c’est l’âme populaire de tout un pays qui périt à Tambov et ailleurs.
Le 8 septembre 1921, la Pravda affirme qu’Antonov a reçu « des directives de l’étranger et du Comité central du parti Cadet » (interdit) ; un rapport de la Tchéka adressé au Sovnarkom, le Conseil des commissaires du peuple, prétend de son côté que « la rébellion était organisée selon un plan général, avec le concours du capital anglo-français ». Après la liquidation physique des résistants, commence la stigmatisation de leur combat en salissant la mémoire des insurgés.
Un sort similaire est réservé à Makhno et à ses hommes, vaincus par l’Armée rouge au même moment, en cette fin de l’été 1921. L’anarchiste ukrainien une fois défait, la propagande de Moscou ne va plus cesser de le dénoncer comme un vulgaire mercenaire qui s’est mis au service des koulaks, comme un tueur féroce et un pogromiste forcené. Calomnier l’adversaire, dénaturer son combat permettent de justifier son extermination. Les similitudes entre Antonov et Makhno sont nombreuses. Ils ont le même âge, ils sont entrés au même moment en politique, avec la révolution de 1905, l’un et l’autre ont été condamnés à la prison à vie par la justice de son jeune âge. Libérés de prison après la révolution de février 1917, dans le cadre de l’amnistie générale décrétée par le gouvernement provisoire, ils ont chacun de leur côté condamné le coup d’Etat bolchevique d’octobre et dénoncé le tournant totalitaire léniniste. Ils ont par la suite commencé à mener leur combat contre le nouveau pouvoir depuis leur région d’origine – Tambov en Russie centrale pour Antonov, Goulaï-Polé en Ukraine pour Makhno –, et tous deux ont pris la tête de la résistance paysanne.
En revanche, leurs choix idéologiques diffèrent ; si Antonov est resté proche des socialistes-révolutionnaires de gauche, Makhno s’est toujours réclamé de l’anarcho-communisme. A leur égard, Moscou n’a pas mené la même politique. Antonov a été combattu dès le début par les bolcheviks, quand Makhno a été utilisé par eux avant d’être trahi. Alliés aux Rouges pour combattre les Blancs, les makhnovistes ont fini par être liquidés dès que le nouveau pouvoir n’a plus eu besoin d’eux.
A la suite de la paix signée à Brest-Litovsk, en mars 1918, l’Ukraine est occupée par l’Allemagne jusqu’à la défaite de novembre. Makhno ne reconnaît pas le gouvernement nationaliste qui s’installe alors à Kiev. Il met en place dans sa région, une Union des paysans pour promouvoir l’installation de communes agraires libres. L’entrée en force des armées blanches en Ukraine clarifie le sens de son combat. Avec ses paysans en armes, il se bat contre un retour de l’ordre ancien. Les Rouges trouvent en Makhno un allié de choix. Excellent guerrier, cavalier émérite, l’insurgé inflige de lourdes pertes aux Blancs dans des actions de guérilla éclairs. L’armée makhnoviste comprend jusqu’à trois divisions, plus de 50 000 hommes. Leurs uniformes et leurs armes, pris sur l’ennemi, sont hétéroclites, leur moral est de fer. Les combattants sont des hommes des campagnes, robustes, endurcis, habitués à vivre en plein air.
Pour Denikine, qui commande les armées blanches dans la région, puis pour Wrangel qui lui succède, les makhnovistes sont l’ennemi principal. Les deux généraux blancs leur opposent le meilleur de leurs troupes. Ce choix stratégique fait le jeu des Rouges qui voient les adversaires s’affaiblir mutuellement. Trotski est toujours resté méfiant à l’égard de Makhno. Il craint la contagion anarchiste dans ses propres troupes. En juillet 1919, des régiments rouges se révoltent, destituent leur chef et rejoignent l’Armée insurrectionnelle de l’Ukrainien. « Il vaut mieux céder l’Ukraine entière à Denikine que permettre une expansion du mouvement makhnoviste, estime à l’époque le chef de l’Armée rouge. Le mouvement de Denikine étant ouvertement contre-révolutionnaire, il pourrait aisément être compromis par la voie de la propagande de classe, tandis que la Makhnovtchina se développe au fond des masses et les soulève contre nous. »
Plus tard, lorsqu’il racontera l’épopée révolutionnaire bolchevique, Trotski précisera le danger que représentaient alors Makhno et ses idées, selon lui : « Dans cette “armée”, il n’y a aucun respect de l’ordre ou de la discipline, écrira Trotski (…). Les officiers ont été élus (…). Abusées, les masses armées deviennent un instrument aveugle aux mains des aventuriers (…). Il est grand temps de mettre fin à ce divertissement à demi koulak, à demi anarchiste. »
Le Congrès régional des paysans et des ouvriers qui se tient sur les terres makhnovistes en octobre 1919 adopte une « déclaration-projet » d’inspiration anarchiste : destruction de tout pouvoir politique ; réalisation de l’autogestion ouvrière et paysanne dans le cadre de soviets libres, sans partis politiques, groupés librement en fédérations ; organisation de l’échange direct des produits entre les villes et les campagnes. Le contraire du programme bolchevique univoque et centralisateur. Le mouvement animé par Makhno est populaire dans les campagnes, mais il souffre des faiblesses de son idéologie. La liberté totale de la presse, des organisations, des partis « révolutionnaires » qui est prônée, permet aux bolcheviks d’infiltrer la région, d’y noyauter les structures existantes, y compris l’armée des insurgés. Lorsque les Rouges retournent leurs armes contre Makhno, une fois les Blancs vaincus, le mouvement est pris en tenaille, sur le terrain militaire comme sur le plan politique, grâce à ce noyautage. Le 14 novembre 1920, les Blancs sont définitivement vaincus en Crimée, avec l’aide de Makhno.
Le 23 novembre, Lénine ordonne la liquidation des makhnovistes. La chasse à l’homme commence, elle va durer neuf mois à travers toute l’Ukraine. L’Armée rouge, la Tchéka, tout l’appareil du parti-Etat sont mobilisés dans cette nouvelle phase de la guerre civile. La popularité des insurgés auprès de la population est leur meilleure garantie, mais la terreur rouge gagne du terrain. Plusieurs fois blessé, repartant à chaque fois au combat, Makhno est finalement acculé, fin août 1921, près de la frontière roumaine. Il franchit le Dniestr avec les 250 hommes qui lui restent pour se mettre à l’abri. Il n’est pas vaincu, mais il ne représente plus de danger pour Moscou. Nestor Makhno se réfugiera finalement à Paris, il deviendra ouvrier chez Renault et mourra dans la misère en 1934. Les populations coupables d’Ukraine et de Crimée, comme celles de la province de Tambov et des régions de la moyenne Volga, n’en sont pas quittes pour autant. La famine qui frappe le pays en 1921-1922 les décime. La question de la résistance paysanne est temporairement réglée pour les bolcheviks.
Lu sous wikipedia concernant la révolte de Tambov :
« Les autorités bolchéviques ouvrirent sept camps de concentration, où au moins 50 000 personnes furent internées, principalement des femmes, des enfants, des vieillards, certains servant d’otages. La mortalité dans les camps atteignait les 15 à 20 % par mois. » […]
« Le soulèvement fut graduellement étouffé durant l’année 1921. Antonov fut tué en 1922, lors d’une tentative d’arrestation. Les pertes totales parmi la population de la région de Tambov sont estimées à 240 000 personnes au moins »
- En Ukraine les rebellions paysannes ne cessèrent pas. Les femmes y prirent une part importante.
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* Nous laisserons à l'auteur la responsabilité de son propos.
J.M
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Nestor Makhno
« Cinq d'entre nous, frères orphelins, l'un plus petit que l'autre, ont été laissés entre les mains de notre pauvre mère, qui n'avait rien au monde. Je me souviens vaguement de ma petite enfance, privée des jeux et plaisirs habituels de l'enfant, gâchée par le besoin horrible et la pauvreté que notre famille a dû endurer, jusqu'à ce que les garçons grandissent suffisamment pour gagner leur vie », a écrit dans ses mémoires Nestor Makhno, le plus célèbre anarchiste de l'époque de la Révolution et de la guerre civile survenues au début du XXe siècle en Russie. De cette pauvreté et ce désespoir épouvantables est né un leader qui a brisé le monopole des principales forces politiques apparues à l'époque, qui combattaient dans une âpre lutte pour le pouvoir - les Rouges (révolutionnaires) et les Blancs (loyalistes).
Makhno est devenu le représentant et, parfois, le chef de file de la troisième force de la révolution russe (bien qu'elle se soit principalement manifestée sur le territoire de l'Ukraine contemporaine) - le mouvement paysan, qui est intervenu avec force lors de la dernière phase de la guerre civile. Les bolcheviks victorieux l'ont écrasé, mais ils ont dû faire des concessions aux paysans.
Quoi qu’il en soit, Makhno n’a pas toujours été l’opposant des bolcheviks. Ils avaient beaucoup de choses en commun en termes d'idéologie, car Makhno soutenait les idées anarcho-communistes. Il a fait des alliances avec les rouges à plusieurs reprises, créant un front commun pour combattre les blancs.
Makhno et des dizaines de milliers de combattants anarchistes paysans sous son commandement ont contribué à la défaite des partisans de l'ancien régime. Il était également habile dans la lutte contre les bolcheviks. Considéré comme l'un des meilleurs praticiens de la tactique de guérilla, ses régiments massifs s’évaporaient juste après les batailles pour refaire surface à l'endroit où on les attendait le moins et porter un coup fatal.
Makhno a essayé de matérialiser ses idéaux politiques anarchistes - les « soviets libres », des conseils autonomes détenant la plupart du pouvoir. Cependant, « les Soviets libres de Makhno n’auraient pu exister qu'avec une autorité faible... Quel qu’eût été le vainqueur, les Rouges ou les Blancs, un État centralisé fort aurait émergé de toute façon », fait valoir l'historien Vassili Tsvetkov. Makhno a émigré et terminé ses jours en France au milieu des années 1930.
Piotr Kropotkine
Piotr Kropotkine, parfois qualifié de père de l’anarchisme russe, a passé une jeunesse aux antipodes de celle de Makhno. Né dans une famille aristocratique de propriétaires terriens, il possédait le titre de prince. Il a servi comme aide de l'empereur Alexandre II et a été reconnu comme un scientifique accompli, exerçant comme géographe. Pourtant, sa vie a connu un tournant quand il a embrassé la révolution.
Il s'est impliqué dans l’activité révolutionnaire qui a balayé la Russie dans la seconde partie du XIXe siècle, a été emprisonné mais a réussi à s'échapper et a vécu à l'étranger en développant les principes de sa théorie anarchiste. En 1910, il a donné la définition suivante de l'anarchisme pour l'encyclopédie Britannica : c'est « le nom donné à un principe ou une théorie de la vie et de la conduite selon laquelle la société est conçue sans gouvernement - l'harmonie dans une telle société étant obtenue non par soumission à la loi ou par obéissance à une autorité, mais par des accords libres conclus entre les différents groupes... »
En même temps, il rompit avec les bolcheviks après la révolution de 1917, bien que ces derniers voulussent utiliser son nom et son expertise. « Je ne peux me réconcilier avec aucun gouvernement », disait-il.
Mikhaïl Bakounine
Comme Kropotkine, Mikhaïl Bakounine était un anarchiste au passé aristocratique. Il est né en 1814 dans la famille de nobles héréditaires. Comme Kropotkine également, il a servi dans l'armée, en tant qu'officier d'artillerie, mais s'en est vite lassé et a quitté la carrière militaire.
À partir du milieu des années 1830, Bakounine s'est plongé dans l'étude de la philosophie contemporaine, principalement les écrits de Hegel. Bakounine a qualifié plus tard l'enseignement de Hegel d’« algèbre de la révolution ». Pour approfondir sa maîtrise de la philosophie hégélienne, Bakounine est allé à Berlin.
Il a participé aux événements de la révolution de 1848-1849 en Europe, s’impliquant dans le soulèvement de Dresde. Son frère d’armes était alors le compositeur Richard Wagner. « À Dresde, la bataille dans les rues a duré quatre jours… Presque tous les rebelles étaient des travailleurs des usines environnantes. Dans le réfugié russe Mikhaïl Bakounine, ils ont trouvé un chef expérimenté et à la tête froide », a écrit Karl Marx au sujet des événements, Marx ayant eu de vifs débats avec Bakounine par la suite lors de la première Internationale. Pour cela, ainsi que pour ses tentatives antérieures d'unir les nations slaves afin de combattre la domination autrichienne dans l'empire des Habsbourg, il a été condamné à mort à deux reprises - à la fois en Saxe et en Autriche - mais dans les deux cas, la peine a été commuée en réclusion à perpétuité. Le révolutionnaire a finalement été extradé vers la Russie.
Là, il a de nouveau été emprisonné et a passé plusieurs années derrière les barreaux avant d'être exilé en Sibérie. Dans les geôles autrichiennes, il avait été enchaîné par les mains et les pieds alors que dans la prison russe. Au début des années 1860, il quitte la Russie pour la deuxième fois afin d’organiser une révolution de l'étranger. En 1863, il soutient le soulèvement des Polonais contre l’Empire russe, mais la tentative est rapidement écrasée. Il déménage en Italie où il rencontre Garibaldi et crée la Fraternité internationale, une organisation secrète de révolutionnaires qui avait des cellules dans de nombreux pays européens.
C’est en Italie qu’il a élaboré son enseignement anarchiste. Ses arguments étaient dirigés contre l'État : « S'il y a un État, il doit y avoir domination d'une classe par une autre et, par conséquent, esclavage ; l'État sans esclavage est impensable - et c'est pourquoi nous sommes les ennemis de l'État ». Dans cet esprit, il n'était pas d'accord avec les marxistes. Il a déclaré que « lorsque les gens se font frapper avec un bâton, ils ne sont pas beaucoup plus heureux si on l'appelle "bâton du peuple" », le terme « bâton » faisant référence à l'État. « En s'efforçant de faire l'impossible, l'homme a toujours réalisé ce qui était possible », stipule l'une des citations de Bakounine sur sa pierre tombale dans un cimetière de Berne.
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