Si l'arrivée de Russes "blancs" en Corse a pu être qualifiée de "choc culturel" ( Cf. dans la rubrique ' LES RUSSES EN CORSE", article intitulé : "Arrivée de « Russes blancs » en Corse : un choc culturel" , une autre facette de l'émigration blanche en Corse mérite d'être relatée.
En Corse, durant la guerre 39-45, nombre de " Russes blancs" arrivés en 1921 sur le navire "Rion" devinrent ….. "rouges".
Leur amour de la Russie (et de l'Ukraine) et leur indignation devant la barbarie allemande, les conduisirent en effet à adhérer au parti communiste local.
Jean Louis GASTAUD, ajaccien particulièrement attaché à son quartier de naissance et d'existence, avait fait paraître, peu avant sa disparition, un ouvrage intitulé : " M'arricordu ( je me souviens) . Ballade dans Castelvecchio".
J.M
Nous reproduisons quelques photos tirées de son ouvrage, qui mettent en exergue la présence des "Russes" , dont certains épousèrent la cause communiste et lui restèrent fidèles.
La légende de la photo est la suivante :
"Je me souviens, non sans émotion, des chants magnifiques qui montaient, le soir, des caves, ces chants si profonds qu'ils donnaient la chair de poule , et que les voisins écoutaient avec surprise et admiration (Kalinka, Stenka Razine, Otchi tchornia....).
Je me souviens de Joseph, le Russe, l'allumeur de réverbères, avec sa canne allume-feu sur l'épaule, allant d'un lampadaire à l'autre, laissant derrière lui un chapelet lumineux.
Je me souviens des familles russes de Castelvecchio : Amolsky, Aparine, Baranovsky, Borodine, Gourinovitch, Ivanof, Kotchef, [....] Mironenko, Voropaief, Pimenof, Popov, Seleznef,Serdukof, Tarrassenko, Joukoff, Borissof, Eletzky, etc.
Précisons aussi que monsieur Gastaud, dans l'élan de la rédaction de son ouvrage, accompagne d'un extrait de la chanson "Potemkine" la photo d'une famille de Russes blancs, ce qui peut plonger le lecteur dans une certaine perplexité.
Il est à noter que le phénomène décrit à propos des Russes blancs de Corse s'est également produit sous d'autres cieux.
L'exemple le plus frappant en ce qui concerne la France continentale est celui du prince Georges SCHIRINSKY-SCHIKHMATOFF, descendant d'une illustre famille de la grande noblesse russe remontant à Gengis Khan, mort en captivité après avoir été dénoncé en tant que "communiste" durant les années noires de l'occupation.
Le prince Georges SCHIRINSKY-SCHIKHMATOFF, devait sans doute appartenir à cette petite frange de nobles russes acquis aux idées socialistes-révolutionnaires, ayant émigré pour cette raison après la victoire des bolcheviques, mais ayant néanmoins conservé toutes leurs convictions en exil.
Son "déclassement social" (chauffeur de taxi puis manœuvre) et la découverte de la condition ouvrière ne doivent pas constituer non plus des éléments étrangers à ses activités en France.
Un article plus détaillé relatif au prince et à sa famille apporte à ce propos des éléments complémentaires.
Cf. sur notre site l'article " Vannina Schirinsky-Schikhmatoff, "Indiana Jones" du musée Fesch d'Ajaccio. Article suivi de " Les déportés corses du convoi des 45.000". ( Rubrique : LES RUSSES EN CORSE)
Nous observerons enfin que les services de Vichy, en le dénonçant à la Gestapo, ont fait fi de l'engagement du Prince dans l'armée française en qualité d'officier d'aviation durant la guerre 14-18.
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Article tiré de : http://www.memoirevive.org/georges-schirinsky-schikhmatoff-46116/
Georges SCHIRINSKY-SCHIKHMATOFF – 46116
Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.
Georges Schirinsky-Schikhmatoff, né le 30 août (correspondant au 12 septembre, « ancien style ») 1890 à Saint-Petersbourg (Russie), fils d’Aleksej Schirinsky-Schikmatoff et de Leokadia Mezenkow, son épouse, appartient à une très ancienne famille princière russe, catholique orthodoxe, qui s’exilera à la suite de la révolution soviétique. Il a – au moins un frère -, Cyrille.
Officier de la Garde Impériale, Georges Schirinsky-Schikhmatoff combat sur le front français au cours de la Première guerre mondiale comme pilote aviateur (commandant ?) et reçoit la Légion d’honneur. Jusqu’en 1939, il est membre de l’Union générale des associations des Anciens combattants de France.
Il est considéré comme entré régulièrement en France en 1920.
Pendant un temps, il habite au 29, rue Barbès, à Issy-les-Moulineaux.
Pendant un temps et jusqu’à la guerre, Georges Schirinsky-Schikhmatoff est chauffeur de taxi à la Compagnie française des automobiles, dont le siège est au 2, place Collange, à Levallois, et/ou à la Compagnie française des voitures de place, rue Frémicourt.
Les Renseignements généraux le connaissent comme membre du Groupe National-maximaliste en France et de l’Union des jeunes Russes (dissoute par son président en mai 1940) dans laquelle il ne joue aucun rôle important. Désigné également comme journaliste, collaborant à la revue Affirmation, organe philosophique et littéraire de la jeunesse russe post-révolutionnaire, il est membre de l’Association syndicale de la presse étrangère à Paris.
Le 4 avril 1931, à Meudon, veuf d’un premier mariage, Georges Schirinsky-Schikhmatoff se marie avec Eugenia (ou Eugénie) Silberberg, née le 26 février 1885 à Elisabethgrad (Russie), elle-même veuve de Boris Viktorovitch Savinkov, « suicidé » dans la prison de la Loubïanka, à Moscou, le 17 mars 1925, et déjà mère d’un fils, Léon, né le 15 août 1912 à Niss (Russie). Elle a 46 ans : ils n’auront pas d’enfant. Elle travaille comme garde-malade et infirmière.
Selon la mémoire familiale, et aux dires des Allemands, Georges Schirinsky-Schikhmatoff a des idées « socialistes pro-communistes ».
Selon son employeur, il adhère au Parti communiste et serait même dirigeant d’une cellule, « sa femme [étant] elle-même une militante acharnée ».
À l’automne 1939, Georges Schirinsky-Schikhmatoff habite au 22, rue Bois-le-Vent, à Paris 16e.
Le 20 novembre 1939, le commissaire de police de Levallois-Perret écrit au directeur des Renseignements généraux pour lui signaler le nommé Schirinsky, réfugié russe (« dangereux »), « comme pouvant tomber sous le coup du décret du 18 novembre 1939 ». En effet, le directeur de la société de taxis, « dont les services de renseignement sont très bien organisés », vient de lui signaler que Georges Schirinsky-Schikhmatoff « n’aurait rien abandonné de ses anciennes sympathies pour la IIIe Internationale ».
À partir du 11 novembre 1940 et jusqu’au moment de son arrestation, le couple est domicilié au 17, rue Marbeau, à Paris 16e [1], ayant la garde d’un appartement appartenant à Georges Batault (1887-1963), citoyen suisse, ancien collaborateur du quotidien Le Temps et correspondant du Nouveau Temps, « connu pour ses opinions antisémites », dont l’épouse est russe, réfugié depuis juin 1940 dans les Alpes-Maritimes. Georges Schirinsky-Schikhmatoff est alors employé comme charretier à bras par la Maison Lebreton, sise au 50, rue des Petites-Écuries, à Paris 10e.
Dans une note manuscrite du 14 août 1941, les RG indiquent qu’Eugenia Schirinsky est en traitement pour un cancer à l’hôpital de la Salpêtrière, ayant été déjà opérée trois fois et n’étant plus opérable. Elle décède probablement peu après, lui-même étant désigné comme « veuf » en décembre 1942.
Pressentant ou informé qu’il va être arrêté, Georges Schirinsky-Schikhmatoff en informe sa belle-sœur – qui ne sait rien de son activité politique. Lors d’une rencontre organisée peu de jours avant son arrestation, il lui signifie ce qu’elle devra dire aux autres membres de la famille.
Le 18 mars ou en avril 1942, il est arrêté par les autorités allemandes et écroué à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e). Un document mentionne la rue des Saussaie, siège de la Police de Sûreté Allemande, dont la section IV (Gestapo) : y aurait-il été convoqué ?
À une date restant à préciser, il est transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise – 60), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag122 – Polizeihaftlager).
Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.Le 8 juillet 1942, Georges Schirinsky-Schikmatoff est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 46116 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).
Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied à Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20.
Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire – au cours duquel Georges Schirinsky-Schikmatoff se déclare comme « Handelsvertreter », représentant de commerce -, ils sont envoyés aux travail dans différents Kommandos.
Selon Daniel Nagliouck, rescapé, le 13 juillet – après les cinq premiers jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – Georges Schirinsky-Schikmatoff est dans la moitié du convoi qui reste dans ce camp en construction choisi pour mettre en œuvre la “solution finale” (contexte plus meurtrier).
Il meurt le 17 août 1942, d’après les registres du camp, après avoir été admis à l’infirmerie de Birkenau selon un témoin. Ce jour-là, vingt-six autres “45000” sont portés décédés ; probablement à la suite d’une séance de désinfection à Auschwitz-I (coups, manque de sommeil…). Selon un témoignage apporté à sa famille, il aurait effectivement été battu à mort. L’acte de décès mentionne « Sepitsche Angina » : une angine infectieuse.
Le 24 juin 1944, Cyrille Schirinsky-Schikmatoff engage une démarche afin de savoir ce qu’est devenu son frère. Il peut préciser que celui-ci a probablement été déporté « vers Auschwitz ou Birkenau ».
Le 26 septembre 1946, le nom et le matricule de Georges Schirinsky-Schikmatoff figurent sur la Liste officielle n°3 des décédés des camps de concentration d’après les archives de Pologne, éditée par le ministère des anciens combattants et victimes de guerre.
Le 17 juin 1947, le Central tracing bureau de l’US Army transmet au Bureau national des recherches le résultat de son enquête sur une personne disparue en confirmant la date portée sur l’acte de décès à Auschwitz et le matricule (fiche de recherche datée du 12 juin).
Dès le 7 août 1947, le bureau d’état civil du Ministère des anciens combattants peut établir un acte de décès avec la date exacte.La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 24-09-1998).
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 373 et 420.
Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Paris (2002), citant : Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (dossier individuel).
Archives de la préfecture de police (Paris), site du Pré-Saint-Gervais ; dossier individuel des RG (77w114), n° 96.924.
Message de sa nièce (27-4-2006).
Message de sa petite-nièce (12-2012).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 1079 (21444/1942).
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; message et pièces jointes 07-2010.
Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen, dossier de Georges Schirinsky-Schikmatoff, cote 21 P 536 424, recherches de Ginette Petiot (message 01-2012).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 10-06-2015)
Note :
[1] L’adresse du 7, avenue Léon-Heuzey – portée sur certains documents – semble être celle de son frère Cyrille.
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).