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« On a un peu arrêté le temps et on a gardé la musique russe telle qu’elle était il y a 100 ans », relate la violoniste française Nastassia Jacquet-Apreleff, 29 ans. Dans l'apparence de cette résidente de l'Hexagone au prénom rare pour son pays se lit imperceptiblement une origine russe – des sourcils sombres et dessinés, un visage ovale de princesse russe, semblant tout droit sorti des toiles de Vasnetsov.
Nastassia
La jeune femme possède en effet des racines russes – ses ancêtres, des officiers blancs, ont émigré en France après la Révolution de 1917. Nastassia vit à Montpellier, où elle travaille comme ingénieur du son, et joue de la musique russe folklorique et de barde avec un groupe appelé Zima (Hiver en russe). Un passe-temps si inhabituel pour la quatrième génération d'émigrants russes en France qu’elle a hérité de ses parents. « Mes parents sont balalaïkistes de l’Orchestre de Saint-Georges tous les deux, quand ils n’avaient pas la possibilité de me confier aux grands-parents ou à quelqu’un d’autre, ils m’amenaient à leurs concerts », confie Nastassia. Ayant grandi dans cette atmosphère, elle n’imaginait toutefois pas qu’un jour elle embrasserait aussi cette activité.
Des balalaïkistes dans le Midi
En plus d’elle, ce groupe de musique unique comprend trois autres joueurs de balalaïka. La balalaïka solo est jouée par Tatiana Derevitsky, 30 ans, qui est également issue de la communauté russe en France. La balalaïka contrebasse appartient à Etienne, qui a été familiarisé avec la culture slave par sa grand-mère ukrainienne. Le membre le plus expérimenté du groupe est Youra, né d'une Russe et d'un Français. Ce musicien compte en effet d'innombrables performances à la balalaïka alto à son actif. Maître de la musique folklorique russe et âgé de plus de 60 ans, il a rejoint l’assez jeune groupe Zima sur recommandation du père de Nastassia.
Le groupe, que l’on ne s’attend pas à rencontrer dans le Sud de la France, a vu le jour début 2010, lorsque Jacquet-Apreleff et Derevitsky ont quitté leur Paris natal pour Montpellier. Comme les filles l'admettent, elles ont commencé à jouer ensemble pour le plaisir parce que leurs amis et la musique russe leur manquaient. Rejoindre le collectif d'Etienne a été un heureux hasard et depuis lors, les choses ont pris une tournure plus sérieuse. Le fort désir d'exprimer de façon créative leur identité russe, ainsi que la passion du trio pour la culture russe, ont permis à Zima de trouver une direction pour aller plus loin. « Notre première représentation a eu lieu au Salon du thé, où tous nos amis sont venus. À cette époque, nous ne jouions pas si bien, il y avait encore beaucoup de travail devant nous », se souvient Tatiana.
Au départ, il était supposé que Youra ne remplacerait qu'occasionnellement le bassiste qui, outre Zima, est impliqué dans d'autres collectifs musicaux. Cependant, au final, c'était tellement bien que plutôt que d'être juste un remplaçant, il est devenu un membre à part entière du groupe. Quant à Nastassia, la jeune femme maîtrise désormais une balalaïka secunda en plus du violon.
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Voyage musical en Russie
À présent, les membres du groupe, selon leurs propres termes, sont passés à un niveau plus professionnel et ont augmenté leur nombre de représentations. « On ne fait pas seulement les concerts, mais aussi les festivals avec le thème musique du monde, en plein air. Dans les églises aussi on joue régulièrement, explique Nastassia. On part un petit peu partout en France en fonction de ce qui nous appelle ».
Le répertoire du groupe comprend de la musique folklorique russe, des chants tziganes et des chansons des peuples des Balkans. Viennent les écouter non seulement les Russes vivant en France, mais aussi les Français. « Les gens nous disent : "On ne comprend pas ce que vous dites, mais on voyage avec vous !" », s’amuse Nastassia, ajoutant qu’habituellement ils s’efforcent tout de même de traduire les chansons avant ou après les avoir interprétées.
L'un des principes tacites du groupe est de chanter des morceaux aussi authentiques et émouvants que possible, dont beaucoup ont été conservés par les émigrants russes au sein de leur communauté depuis que la France a gracieusement abrité les restes de la Garde Blanche sur son sol.
En ce temps-là, dans de nombreux cabarets parisiens, on pouvait entendre le son triste et perçant ou le drôle et fringant son de la balalaïka russe... « Les chanteurs du milieu russe en France ont des voix chaleureuses, graves, profondes, tandis que la musique russe actuelle est vraiment vocale, extrêmement maitrisée, assure Nastassia. Chez nous on a beaucoup entretenu une veille manière de jouer ».
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Le groupe évite également de jouer les œuvres musicales qui sont tellement ancrées dans la culture de masse qu'elles ont formé une image stéréotypée de la musique russe. « Nous ne jouons pas de chansons célèbres comme Otchi Tchiornyé et Katioucha, elles nous ont terriblement lassés », précise Tatiana.
Tatiana
Le groupe Zima se prépare maintenant à enregistrer son deuxième album. « De ce que nous répétons maintenant, j'aime la chanson "Otchego, potchémou" du film soviétique "Récit d’un premier amour (1957)", révèle la jeune femme, avant d’entonner doucement en russe : « Pourquoi, pourquoi, je ne le sais pas moi-même, / J'ai cru tes yeux bleus. / Et maintenant je vais te dire, / tu es seule dans mon destin, / tu es seule dans mon destin ! ».
Symbole des origines russes
Les artistes admettent que la musique russe est pour eux un moyen d'exprimer leur identité russe. « Je me considère Française comme j’ai grandi en France, mais une partie de moi se sent Russe, confirme Nastassia. Pas forcément par la nationalité, c’est la culture russe qui est en moi ».
D’ailleurs, c'est précisément la culture russe qui est la source d'inspiration du groupe Zima. « Quand je dis que la culture russe me charge d'énergie créative, ce n'est pas seulement la littérature, mais tout le complexe de choses que mes parents m'ont enseignées : la chaleur de la langue, comment être les uns avec les autres, savoir accueillir, toujours ouvrir les portes aux amis et aux gens qui ont besoin, partage Nastassia. C’est le froid et le chaud à la fois extrême et c’est plus un imaginaire que des choses pratiques ».
« Ma famille est également très attachée à la culture russe et surtout à la musique folklorique russe, nous dévoile Tatiana. Même ma première balalaïka m'a été offerte par mes frères musiciens ». Selon la jeune femme, elle ne pourrait pas imaginer sa vie sans son instrument de musique préféré. Mais il n'en a pas toujours été ainsi, après un stage à l’Académie russe de musique Gnessine en Russie, Tatiana a essayé d’abandonner la musique folklorique russe, déçue de ses propres compétences. « Quatre ans plus tard, la balalaïka m'est revenue. Il s'avère que j'ai toujours besoin de ce symbole de mon origine, soutient-elle. Je pense que j'ai une âme russe ».
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